En suisse, une rappeuse fait bouger les lignes.
KT Gorique a profité du confinement pour créer et prendre le contre-pied des annulations de concerts, à l’instar de nombreux artistes qui ont multiplié les « lives confinés » et les reprises. Le parti pris de KT Gorique, rappeuse suisse de passage à Paris pour la Fête de la Musique (elle a notamment participé à un concert sauvage du Barbès Comedy Club), est d’avoir mis à contribution ses pairs, et d’avoir produit des œuvres collectives. Sur son Soundcloud, KT Gorique s’est livrée à un curieux exercice : proposer chaque jour plusieurs instrumentations à son public, qui en choisissait une, et poser ensuite des paroles et une maquette dessus. Le résultat : 12 morceaux confinés, intitulés « Le Remède », et auxquels ont collaboré d’autres artistes : la française Illustre, mais aussi La Gale, Setay, ONI… « Je voulais donner des good vibes aux gens, apporter de la solidarité, faire du bien… parce que c’est ça la musique, c’est de faire du bien aux gens ! », confie KT Gorique à propos de ses initiatives participatives, qu’elle a par ailleurs commentées dans Néo Géo.
Autre projet né pendant le confinement, le Biggest Female All Stars Cypher : sept minutes produites par la beatmakeuse Fana, avec 19 rappeuses de 9 pays différents. Comme l’indique le titre, « le plus grand cypher féminin » jamais créé. Faut-il y voir une volonté de promouvoir la place des femmes dans le rap ? « Non, je suis une femme, ça fait 15 ans que je fais du rap, j’ai toujours été entourée de plein de façons. On ne m’a jamais dit que je n’avais pas ma place, même si être une femme, c’est être une femme, quel que soit le métier. Il faut arrêter de faire comme si le rap était le seul truc sexiste au monde. Etre une femme, c’est difficile tout le temps ».
Dernière actualité, la rappeuse a décidé de ne pas repousser la sortie de son nouvel album, Akwaba, paru le 15 mai dernier, et disponible ici. Akwaba, qui en ivoirien signifie « Bienvenue », et fait suite à un voyage en Côte d’Ivoire, après seize ans d’absence au pays : « Ce n’était pas juste un voyage comme ça. J’ai encore beaucoup de proches là bas, une de mes soeurs est restée, ainsi que mes amis d’enfance, et beaucoup de cousins. Le fait d’avoir perdu mes racines, mes attaches familiales, a été très difficile pour moi, pour me retrouver en tant que personne et en tant qu’artiste ». Le fruit de cette reconnexion se perçoit dans l’album, puisque KT Gorique explique avoir trouvé confiance en elle et en son identité. Au point d’affirmer son univers artistique, entre reggae et hip-hop, le future roots. Akwaba est composé en français, mais certains passages sont en baoulé et en nouchi, l’argot ivoirien : « C’est naturel pour moi de mélanger les langues, j’habite en Suisse, on a l’habitude de switcher ». Surtout, ce voyage, ce retour aux sources a permis à KT Gorique d’évoluer sur sa manière d’aborder certains sujets.
Tous terrorisés, théorisés, domestiqués par nos paires, gaut être rusé, faut refuser, d’être offusqué par leurs thèses, Look, choisis ta réalité.
Les paroles de Singulier, single de son premier album Kunta Kita, sorti en 2018, résonnent étrangement avec l’actualité, et les luttes contre le racisme, qui mobilisent le monde entier. Domiciliée à Martigny, dans le canton du Valais, KT Gorique confie par ailleurs « être prise physiquement, émotionnellement, psychiquement et psychologiquement » par la révolte, et s’est déjà rendue à Lausanne, pour manifester et protester : « Le racisme existe aussi ici en Suisse, sous plusieurs formes différentes. On a des bavures policières, même si ça se passe un peu différemment qu’en France (…) Ce n’est pas parce que ça ne passe pas à la télévision, que ça n’existe pas ». En attendant, si la tournée initialement prévue a été annulée, KT Gorique reprendra le chemin de la scène en septembre prochain, en Suisse allemande, et compte bientôt annoncer ses prochaines dates en France.
Visuels © Nadia Tarra