Immersion dans le mouvement culturel alternatif à Brooklyn.
Niché entre les impressionnants buildings de Brooklyn, l’événement a battu son plein, entre émotion et revendications
Nova s’est rendu en août dernier à l’Afro Punk Festival pour vous livrer les secrets du mouvement alternatif culturel le plus chamarré et barré de cette dernière décennie.
Bien plus qu’un simple événement musical, il combine tous les ingrédients pour en faire un espace d’échanges artistiques, où la singularité et le style impressionnent. De quoi faire bouder les participants de la Coachella. Et probablement mourir d’envie ceux de Calvi On the Rock. Une vraie fashion week urbaine.
Cependant, résumer ce festival en le limitant simplement au dress code de ses participants serait un vrai blasphème. Il n’y a qu’à flâner entre les 4 scènes de l’Afro-Punk pour ressentir l’âme de cette communauté, et toutes les valeurs de tolérance qui y sont prêchées par des artistes comme D’Angelo, Sharon Jones… Ici, on cultive la différence et on prend part au débat politique par la musique. En pleine affaire Ferguson, autant vous dire que « Don’t shoot ! » ont été les deux mots les plus scandés lors de ces deux jours. Petit clin d’œil donc aux habitués des festivals, blasés par le manque d’authenticité et les prix toujours plus onéreux des billets… Par exemple, l’Afro Punk, c’est gratuit ! Mieux encore, c’est un moment de convivialité qui sensibilise les cœurs.
L’histoire commence en 2002 grâce à Matthew Morgan et James Spooner, deux professionnels de l’industrie de la musique. L’un comme l’autre, fiers représentants de la culture afro-américaine, se questionnent sur ce qu’est l’identité de cette communauté dans la société américaine, bien trop souvent rabaissée et négligée. A ce moment là, l’imaginaire collectif cantonnait les afro-américains aux sphères obscures du gangsta rap et du bling-bling légendaire qui lui colle à peau. James Spooner va tordre le coup à ces vieilles croyances en sortant le documentaire « Afro Punk » (Voir en bas de l’article) en 2003, suite à deux années passées à sillonner les Etats-Unis à la rencontre des afro-américains, acteurs majeurs du mouvement Punk. En créant ce néologisme, James Spooner réaffirme au monde l’existence d’un pan culturel riche et plein de promesses, inhérent à cette communauté. Mais jusque là ignoré. C’est ainsi que le festival du Commodore Barry Park de Brooklyn, où nous étions les 23 et 24 août dernier, est devenu depuis 2005 la pièce maîtresse de ce mouvement. L’heure du numérique a également aidé à fédérer et attirer de nouveaux adeptes, prenant part au débat sur des sujets sociétaux brûlants qui peuvent secouer les Etats-Unis et le reste du Monde. Il n’y a qu’à se rendre sur le site www.afropunk.com pour s’en rendre compte. De nombreux forums, blogs et galeries photos sont proposés. Il s’agit d’une parfaite façade virtuelle qui présente tous les attributs d’un réseau social. A la différence près que l’adhésion est contrôlée par l’équipe du site. Elitisme, vous me répondrez ? Non, on s’assure simplement que les membres correspondent à l’identité qui a été forgée, et participent à pérenniser activement son champ d’action.
Outre l’aspect anthropologique très intéressant qu’offre cet événement, participer à l’Afro Punk Festival est une expérience envoûtante. Tout d’abord parce que la programmation oscille entre une relève fleurissante incarnée par des noms comme The Internet, Lianne La Havas, SZA, Valerie June, et de grosses pointures comme les pionniers punk de Bad Brains, D’Angelo ou même les métalleux de Body Count. D’ailleurs, je dois relever que la prestation de ces derniers a été forte en décibels et en revendications. « Open your mother fucking mouth ! », vociférait Ice-T au public enragé. Stop à l’ego trip qui fait fléau ! Les rappeurs commerciaux sont plus occupés à s’exhiber, entourés d’un harem de bombes latines ou au volant de grosses voitures, plutôt qu’à la diffusion d’un savoir, qui devrait être le rôle de chaque artiste. C’est ainsi que l’engagement idéologique nous a pris par la main pendant ces deux jours pour nous ouvrir les portes d’un monde éveillé et progressiste. Je n’aurai jamais pu imaginer que, dans une société américaine aussi meurtrie par les inégalités sociales et raciales, il pouvait exister un havre de paix comme celui-ci, où l’art éveille les consciences et les mœurs. Bien évidemment, les paroles mystiques d’Ice-T et des autres artistes ne sont pas les seules responsables de tous mes bons sentiments. Au détour des rencontres, l’esprit du festival m’a conquise. Chaque personne avait son mot à dire, quelque soit la manière de le faire et de l’exprimer. Chanteurs improvisés entre deux stands, B-boys effrénés en plein battle, patriarche de 60 ans allongés dans l’herbe avec leurs familles, gravures de mode refaisant le monde… Loreen, jeune eurasienne new-yorkaise au look 90’s futuriste, fait parti de ces gens qui m’ont initiés à l’esprit Afro Punk. En la quittant, elle m’a finalement dit : «Tu sais l’Afro Punk c’est simplement un festival où tout le monde a sa place ». Et, en faisant le bilan, je pense qu’elle a trouvé les mots exacts.