Hommage au soulman.
Ce week-end, c’est avec désolation que nous avons appris la disparition du grand Charles Bradley, à 68 ans, des suites d’un cancer contre lequel il s’est battu avec toute la foi dans la vie qu’on lui connaissait. Artiste exceptionnel, d’une humanité rare, Charles Bradley est un roman à lui tout seul. Un roman divinement mis en musique par l’intensité de son chant.
En 2013, paraissait un formidable documentaire retraçant le parcours si atypique de ce monsieur, et voici comme Julien Renou en parlait, ci-dessous :
La présence de personnes de plus de soixante ans dans un documentaire musical est souvent synonyme de gloire révolue. On y voit alors des musiciens, vieillis par le succès et la dope, tentant d’expliquer comment ils arrivaient à concilier bacchanales et disque d’or. Mais il est plus rare, voir unique, que l’on couche sur pellicule la carrière naissante et prometteuse d’un sexagénaire.
À travers ce Soul Of America, Poull Brien capture la chrysalide d’un artiste, Charles Bradley. La mue d’un homme, dont la passion pour la musique ne se résumait plus qu’à mimer le Godfather dans de sombres clubs new-yorkais, pour un chanteur qui fait aujourd’hui partie des plus grandes voix de la soul. Ce funkumentary dévoile les dernières semaines précédant la sortie de son premier album et montre un homme sur le point de réaliser un rêve vieux d’une quarantaine d’années.
Charles Bradley charrie, dans sa voix burinée par la vie, des décennies d’errance et de drames. Une errance qui commença à l’âge de 14 ans par de longues nuits à la recherche d’un peu de chaleur dans le métro ou à travers le pays en tant que cuisinier. Et c’est en frappant à la porte d’un type aux allures de dealer mexicain, Gabe Rothn gros bonnet du label, que le train de la reconnaissance se met enfin en marche pour lui.
Malgré des débuts prometteurs avec des groupes estampillés Daptone, il ne réalise malheureusement qu’une poignée de singles. Mais c’est lors de ces sessions qu’il rencontre son éminence sonore, l’architecte de ses futures premières galettes, Tom Brenneck. Et si la colère transformait David Banner en l’incroyable Hulk, ce sera la soul qui fera apparaître Charles Bradley derrière les vêtements déchirés du Black Velvet (son surnom lors ce qu’il chantait James Brown). L’homme ne vit plus à travers le Godfather mais chante désormais sa propre vie. Et bien qu’il n’ait pas le professionnalisme vocal d’un Lee Fields, il compense par une émotion omniprésente et puissante, un don total de soi et une authenticité rare ; de nombreux synonymes de la soul finalement. Et ce sont aussi ces caractéristiques qui font de ses concerts des moments forts où le Screamin’ Eagle entonne chaque tour de chant comme si c’était le dernier.
À lire le synopsis de ce Soul Of America, on aurait pu penser qu’il n’était en réalité qu’un insidieux outil de propagande dans l’optique de repousser l’âge légal de la retraite mais il n’en est rien. Poull Brien réussit à saisir l’histoire rare d’un homme de 62 ans qui a réalisé, malgré l’érosion des années, un rêve fait un soir de 1962 lors d’un concert de James Brown.
Charles Bradley – Soul of America. Un documentaire réalisé par Poull Brien, et sorti le 28 Octobre 2013.
Visuel : (c) Wikipédia / Manfred Werner – Tsui – Own work