Au Bataclan, je me tiens toujours à droite de la fosse. En haut des marches, pinte à la main, pour éviter la longue queue au vestiaire qui conclut toujours les concerts qui se finissent bien. Un truc d’habitué. Je suis un pilier de cette salle aux murs un peu collants comme d’autres sont piliers de bar. C’était aussi le cas de certains qui sont tombés vendredi sous les balles.
Confronté tous les jours à l’actualité, je me surprenais parfois à me dire que cette musique que je chéris tant pouvait sembler bien futile face à la noirceur et au tragique du monde. Après le massacre du Bataclan, elle m’apparaît pourtant comme le meilleur combat et la plus belle des causes.
J’ai toujours su et répété que je n’avais jamais rien vu de plus beau qu’un concert. Je n’ai jamais été aussi bouleversé que par cette immédiate fraternité qui lie les gens dans un festival. Je n’ai jamais vu rien de plus fort que ces mélanges de personnes si différentes qui dansent dans une même salle sur les mêmes notes, les mêmes breaks, les mêmes grooves. La musique live est sans doute ce qu’il y a de plus liant, au sens propre, avec bien sûr l’amour. Un concert file dans la nuit sans trop réfléchir, un concert gomme toutes les différences pour ne laisser place qu’à la passion, justement.
Rien n’est plus beau qu’une foule plongée dans le noir, balayée furtivement par des éclairs, des jeux et des rais de lumières. Rien n’est plus beau qu’une foule qui entame une chorégraphie improvisée mais où chacun pourtant bouge dans le bon tempo, alors qu’on ne connaît pas son voisin. Trop plein de joie et de vie : jamais je n’ai vu les gens s’aimer autant que dans la moiteur d’un club et la bière chaude d’un concert, mains et yeux levés vers le ciel, âmes emmêlées au rythme de la même musique, comme nos corps. Jamais peut-être nous ne sommes aussi vivants que dans un concert.
Pas besoin de parler d’autres langues que celle des guitares ou des percussions d’un « Wannabe In L.A. » des Eagles of Death Metal ou d’un grand mix polyglotte des Nuits Zébrées qui se tiennent parfois, justement, au Bataclan. Dans un concert tout le monde ne comprend pas toujours les paroles qu’on chante mais un seul regard suffit pour se sourire. On s’aime, puisqu’on aime les mêmes airs. Le concert est cet éphémère espace-temps où les soucis s’effacent et où tout le monde se ressemble. Tout le monde est tout le monde, chacun est tellement pareil et tellement beau qu’on s’aime tellement fort.
C’est tout ça qui a été attaqué vendredi 13 au Bataclan. Attaqué, mais pas tué. La musique sera toujours cet ailleurs qui fait battre notre cœur au rythme des basses et au tempo des solos de guitare. Ce sera vrai encore d’avantage aujourd’hui qu’hier, encore un peu plus chaque vendredi. J’ai besoin de vous aimer tous, potes anonymes de concerts. Je veux voir vos yeux qui brillent quand votre oreille reconnait les premières mesures du morceau que vous attendez, je veux danser avec vous, collé contre vous tous, corps à corps, dans des fosses qui ne seront plus jamais les champs de tirs des fossoyeurs de la mort.