Un rituel à Madagascar : L’homme face au zébu.
A Madagascar, les sports traditionnels sont plutôt… virils. Il s’agit à l’origine d’apprendre à se battre ou d’impressionner les filles du village par sa force et son courage. Aujourd’hui, ces disciplines telles que le Ringa, le Moraingy, sports de combat proches de la lutte et du judo, ou le savika, forme de tauromachie, assurent le spectacle et rassemblent un public toujours fidèle. Elles attirent aussi les touristes, en quête de sensations fortes.
A mi-chemin entre la corrida et le rodéo, le savika est sans doute le plus impressionnant des jeux traditionnels malgaches. Dans une arène cernée par une foule en délire, en partie alcoolisée, l’homme rencontre le zébu, à mains nues.
A Madagascar, le zébu est un signe extérieur de richesse
Robuste et nerveuse, la bête n’aime pas qu’on lui astique les cornes, et pourtant, les compétiteurs, parfois très jeunes, doivent s’agripper le plus longtemps possible à la bosse ou au cou. Alors que le zébu se débat, saute, enchaîne rafales de coups de sabots et charges décidées contre les barrières en bois pour se débarrasser de son assaillant, le maître de cérémonie, lui, tient le compte des secondes. Trente au minimum pour que la figure soit valable. Gare à celui qui lâche prise en cours de route, au risque d’être projeté au sol, enjambé (au mieux) et baladé par un bout du t-shirt resté accroché à une corne.
Dans l’arène, la sécurité est assurée par les autres participants, tous initiés, et des médecins bénévoles sont chargés d’apporter les premiers soins aux blessés. Heureusement, la plupart du temps, plus de peur que de mal. Les combattants s’en sortent avec quelques écorchures. Le zébu en revanche, est toujours sauf. Pas de torture ni de mise à mort dans l’arène, comme dans la Corrida pratiquée en Europe. Le zébu est bien trop précieux aux yeux des Malgaches qui en mangent la viande (délicieuse !) et l’utilisent pour les tâches agricoles, notamment dans les rizières. Un ou plusieurs zébus sont même offerts à l’occasion des mariages traditionnels.
A Madagascar, le zébu est un signe extérieur de richesse. Parfois même, une religion. Dans le Sud de l’île, la coutume veut que le futur époux vole un zébu pour prouver sa bravoure.
Un rite de passage à l’âge adulte
« Le zébu est l’animal le plus considéré à Madagascar, explique Ernest Ratsimbazafy, Maître de Conférences au département E.P.S. de l’Ecole Normale Supérieure d’Antananarivo. Il constitue l’élément primordial de la famille et de la communauté. Indépendamment de sa fonction alimentaire comme viande de boucherie, le bœuf est en outre extrêmement précieux pour les produits qu’il fournit, le travail qu’il rend, la place qu’il tient dans l’économie familiale. Par son physique imposant, poursuit le chercheur, c’est le plus grand animal connu qui existe sur les terres malgaches et avec son allure impressionnante, munie de cornes, le zébu représente, pour le Malgache, la puissance, le pouvoir, la prospérité et la richesse. Animal de sacrifice, il est l’intermédiaire indispensable entre le monde des vivants et le domaine de l’au-delà. »
Rite de passage à l’âge adulte, le savika a ses codes, ses techniques, transmises de père en fils. Il s’accompagne de croyances qui interdisent par exemple la participation des femmes et des non-initiés. De la même manière, un rituel de préparation doit être respecté. Ainsi, certains aliments ne peuvent être consommés avant la lutte.
Certains sociologues se sont penchés sur la valeur patrimoniale de ce jeu. C’est le cas d’Ernest Ratsimbazafy à travers sa thèse « Deux pratiques de combat traditionnel à Madagascar : le Savika du Betsileo et le Moraingy du Menabe », soutenue en 2006, à l’Université de la Réunion. Pour lui, cet « art zébumachique » participe à l’éducation des jeunes, qui apprennent à travers lui, les règles de vie en société. « Le savika (…) fait partie des traditions séculaires dans les hautes terres centrales de Madagascar, grand pays d’élevage bovin », explique-t-il. Ce « jeu occasionnel servant à éduquer les jeunes dans leur préparation à la vie active, s’avère un élément essentiel dans la formation et le développement de la personnalité. Il sert à démontrer à la communauté, aux spectateurs et à soi-même la virilité, le goût du risque, l’adresse et le style personnel de chacun. Les combattants s’en servent aussi pour le prestige des ancêtres, du groupe, du clan, de l’équipe d’appartenance et du village tout entier. »
Le savika, dont l’apparition n’a pu être datée, est loin d’être une discipline oubliée. A l’origine, il accompagnait les fêtes coutumières (mariages, circoncisions, cérémonie du retournement des morts). Aujourd’hui, il reste occasionnel (fête nationale, communale) mais attire toujours un public nombreux, parfois plus nombreux que pour un match de foot ou de rugby. Les Malgaches viennent y boire, y danser, se rencontrer, encourager les lutteurs qui se lancent dans l’arène. Les associations voudraient même d’avantage le codifier et pourquoi pas l’exporter.
Sources :
« Une vision anthropologique des pratiques physiques traditionnelles : vers une ‘patrimonialisation’ du savika », Ernest ratsimbazafy. http://www.cresoi.fr/IMG/pdf/re_maitre_conference.pdf
« Un engouement pour le savika et le moraingy », www.témoignages.re, 30 oct 2006.