Du narcissisme de l’art contemporain.
Deux universitaires de Montpellier se sont lancés dans une étude critique de l’art. Avec un discours où philosophie, psychanalyse, politique et socio-psychologie se superposent, afin de nous expliquer la longue dérive d’une discipline pervertie .
Du libéralisme au nombrilisme
Pour Valérie Arrault et Alain Troyas (les auteurs du livre), la société libérale libertaire a conduit, par étapes, une partie des artistes à se moquer de toutes les conventions, pour en arriver à des formes de non-art quasi absurdes, gore ou trash, qui ne seraient en réalité que l’expression d’un narcissisme contemporain obsessionnel.
Tous les artistes-faiseurs, conceptuels de salon ou de fonds de tiroir, sont cités et décortiqués, afin que leurs objets ou performances se révèlent, non pas intellectuelles ou esthétiques, mais bien des crises d’ego.
Voici donc la thèse d’une perversion de l’expression artistique, transformée en quelque chose qui se voudrait un mélange de la vie de tous les jours, avec ses platitudes, ses répétitions, son ennui ou au contraire ses dérives, ses excès .
D’où les expositions vides, nues, avec quelques vidéos, ou présentant quelques objets banals, faisant fuir tout public, hormis le petit monde des aficionados de l’Art Concept. On a pu voir des parpaings, des vieux vêtements, des bouts de bois…
Ou au contraire, des œuvres choquantes, basées sur le sexe, les excréments, le sang, et tout ce que des esprits étriqués ont cru trouver de blessant et irrespectueux par rapport à l’art plastique, esthétique, mesuré et composé.
Comment un public peut-il encore marcher devant une rayure de Buren, un état d’âme de Sophie Calle, une cuisinière de Lavier ? (en fait, ça n’a jamais marché, ce sont des réseaux d’argent et de clans…)
Ce livre épais et analytique de notre société, dénonce la spirale sans but, les pauvres effets d’un art spectacle réduit à la provocation, mais où il faut à ces non-artistes un minimum de succès, d’argent et de publicité, pour se croire arrivés !
Selon les auteurs, un « lifestyle snob, cupide et narcissique » (page 321).
360 pages d’exemples, analyses, démonstration de cette situation dramatique d’une civilisation qui a perdu ses repères, ceux de la beauté, du style, du travail pour produire des œuvres éclairantes.
Narcissismes malhonnêtes ?
Sont dénoncés comme ils le méritent tous les faiseurs, de Marcel Duchamp et ses pissotières à Wim Delvoye et sa machine à excréments. La liste est longue de ces célébrités affligeantes, enfin réduites à leur narcissisme malhonnête.
La seule lueur pourrait être que cet « Art écrabouillé » serait une tentative d’effacer la séparation entre l’Art et la vie ? Or justement, l’Art est une discipline plastique illogique et à part, que certains savent manier . La seule liaison entre art et vie quotidienne passe par la vision codée, ré-agencée des plasticiens.
Il ne sert à rien de vouloir en détruire les règles puisqu’il n’y en a pas, et d’y mettre de l’intellect à tout prix, sans jamais se laisser porter par le génie des formes…Tout cela est un quiproquo dont rien ne sort qu’une gesticulation désespérée.
Et même si le narcissisme n’est pas la seule cause de ce drame, il y contribue, et ce gros livre savant est un bon procès, avec preuves et pièces à conviction, pour tous ceux qui croient encore à ce cul-de-sac, conséquence d’un détournement.
Du narcissisme de l’art contemporain, d’Alain Troyas et de Valérie Arrault, Editions L’Echappée, 296 pages, 20 euros
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