Rencontre avec l’artiste natif de Belleville et son style quelque part entre calligraphie, géométrie et spiritualité
C’est pas parce qu’il n’y a pas deux street artists pareils qu’on ne peut pas dire que L’Atlas n’est pas un street artist comme les autres. Le natif de Belleville s’est toujours démarqué de ses confrères grâce à un style bien personnel, quelque part entre calligraphie, géométrie et spiritualité. Aujourd’hui, l’art de L’Atlas est la somme de son vécu, entre voyages, épreuves, études et rencontres.
Nous sommes allés le rencontrer à la galerie Lebenson, à Paris, à l’occasion de Persistence, sa première exposition en couleur.
Il se présente sobrement : « L’Atlas, 33 ans ». Comme il l’explique lui-même, pour cette exposition, son travail va au-delà du graffiti. Plutôt de l’art optique. Sur les murs de la galerie parisienne Lebenson, des LED projettent de la lumière noire sur des toiles fluorescentes. Ces dernières respirent ensuite au rythme de la musique (qui influe sur les projections), mettant ainsi le spectateur en interaction avec les oeuvres. Les couleurs, utilisées pour la première fois, donc, cassent le rapport à la calligraphie. Les toiles sont toutes signées, mais cela ne se voit que dans un second temps.
1990, Jules a 12 ans et fait partie de la deuxième génération hip hop. Il s’oriente instinctivement vers le graffiti et s’approprie les rues de son 19ème natal puis, petit à petit, les spots de la ligne 2, de Nation à Place de Clichy en passant par Avron, Belleville , Stalingrad ou Barbès : 11, 18, 19 et 20è arrondissements, les berceaux du hip hop parisien.
Le graffiti l’emmène à la calligraphie ; L’Atlas est fasciné par l’art du trait, le geste juste. Il part au Maroc, puis en Egypte apprendre la calligraphie, qui l’emmènera à son tour au koufi (technique d’écriture anguleuse venue de Perse). Il applique ses méthodes à l’alphabet latin et crée ainsi le style « L’Atlas », mélange de cultures, de spiritualités et de civilisations. L’Atlas, comme le bouquin de géo que l’on a tous chez nous : « Les gens pensent que mon nom est lié à la chaine de montagnes du Maroc mais pas du tout. Ca vient du livre, de l’amour des cartes ; moi, je vois un plan de ville, j’ai l’impression de lire un idéogramme ».
Il commence à faire ses fameuses boussoles sur les trottoirs de Paris en 2000, lorsque la mairie s’acharne à effacer tous les graff de la capitale, effaçant en même temps toute une page de son histoire, et enlevant tous leurs repères aux arpenteurs de bitumes. Les boussoles, clin d’oeil à un désert urbain dans lequel tout est à refaire. C’est à cette époque que Jules aka L’Atlas rencontre la justice ; ceci l’emmène vers une nouvelle forme d’art, plus malin, plus vicieux.
L’Atlas va exploiter les interstices judiciaires, contourner la loi pour être légal tout en restant un grain de sable dans les rouages bien huilés de la répression de l’art de la rue. Il pose ses blazes et ses logos au gaffeur (gros scotch qui a la particularité de très bien adhérer au bitume), ou investit les espaces publicitaires (la où la législation se perd, quelque part entre l’espace privé et l’espace public).
Aujourd’hui, L’Atlas travaille entre Belleville et Les Lilas, avec son confrère et ami Tanc. Plutôt de jour, et toujours en musique. Pas de name-dropping : « j’ai pas envie de nommer quelqu’un mais la musique, c’est mon carburant ».
On est bien obligé de lui poser l’éternelle question : Quid d’un street art honni par les administrations il y a encore quelques années à peine et aujourd’hui encensé par les galeries d’art ? Il commence en envisageant l’esquive « c’est pas forcément les acteurs d’un mouvement qui sont les mieux placés pour parler de ce mouvement » avant de se livrer un peu plus. Oui, aujourd’hui, le street art est à la mode. Oui, certaines âmes moyennement bien intentionnées en profitent. Oui, c’est agréable d’être exposé dans un grand musée. Non, je ne réponds pas aux appels du pied et, ce que je préfère faire lorsque l’attention se pose un peu trop sur nous, c’est m’enfermer dans mon atelier et bosser. Ce qui est d’autant plus un luxe que L’Atlas étant jeune papa, ses heures de liberté sont chères, et seront bien mieux exploitées dans son atelier que dans une « foire au street art ». On l’a, notre réponse.
Chez les Indiens, l’image du labyrinthe, c’est le cerveau.
En même temps, emmener la rue dans les musées ou mettre les musées dans la rue (lorsqu’il expose ses toiles sur les trottoirs) a toujours été au centre de son travail. « Mais ce sera toujours dans la rue que nous aurons le plus de liberté. C’est ce que je préfère ». La rue son théâtre de jeu dans lequel, depuis des années, L’Atlas dessine ses labyrinthes et ses boussoles, sa façon à lui d’interpeller les passants sur leur propre sort. Essayer, sans prétention et sans les forcer, de leur faire se demander qui ils sont, où ils vont, et éventuellement pourquoi. Pensez-vous qu’ils se le demandent ? « Je ne sais pas, c’est à vous de me dire ! Chez les Indiens, l’image du labyrinthe, c’est le cerveau. Je pense qu’il se passe quelque chose quand même… ».
L’avenir de L’Atlas, ce sera probablement la ville et « son mobilier ». Outre des expos à venir, dont beaucoup à l’étranger (Istanbul, Londres, etc…), il travaille sur un projet intitulé « Urban Landscapes », et s’est associé à un architecte, Philippe Rizzotti (aucun lien), pour répondre à un appel à projets de la ville de Paris et, peut-être, construire son fameux labyrinthe près de la Bibliothèque François Mitterrand. « De toute façon, je pense que je ne m’arrêterai pas tant que je n’aurai pas mon labyrinthe à Paris ». Laisser sa trace, concrètement, de manière pérenne.
Et, dans un petit coin de sa tête, L’Atlas cultive ce projet un peu fou de bâtir son propre musée sur le plan de ses cryptogrammes. « Mais pour le coup, pas dans une ville. Dans un bled paumé… peut-être entre Toulouse et Les Pyrénées?… C’est le rêve de tous les artistes : devenir immortel et puis mourir ».