Les chroniques d’Uzbek & Rica : #18.
D’abord, le cool c’est un mot qu’on prononce environ 50 fois par jour (surtout moi), et c’est un état d’esprit : jadis, des mecs comme Errol Flynn ou David Niven étaient cool. Aujourd’hui, le skieur Bode Miller est cool. Pharell dans les clips Blurred lines ou Happy est cool. Thomas Thouroude (« Be cool, Before ») devient cool, Obama qui capture une mouche en pleine interview tout en continuant, l’air de rien, à parler au journaliste, est carrément super cool, et puis bien sûr les sœurs Knowles, Beyoncé et Solange… sont des filles cools.
A l’inverse, une opération des hémorroïdes, un énarque, un prof d’allemand, Claude Guéant, Valérie Trierweiler, un tableur excel, ou un repas de famille en banlieue ouest, c’est pas cool, c’est « relou » (le meilleur antonyme que j’ai trouvé). Mais attention ! Le cool, c’est très sérieux, ça a une vraie histoire. Dans leur ouvrage Malaise dans la civilité ?, dont on pouvait lire des extraits sur Atlantico en 2012, les professeurs Claude Habib et Philippe Raynaud expliquaient : « Le cool serait né en 1949, avec la pratique d’un nouveau type de jazz, recueilli par la suite dans l’album « Birth of the Cool ». Ce nouveau jazz aux sons feutrés rompt avec le goût pour les sons éclatants comme il rompt avec la frénésie du be-bop. Tout est plus retenu, moins clair et plus prenant (…) L’attitude détendue, disent-ils plus loin, sape les convenances et produit un dérèglement momentané : l’idéal est de piéger l’autre et de lui prouver, sans bouger, qu’il déteste la détente, l’aisance du corps et la liberté ».
Voilà ce que c’est le cool : une certaine idée de la décontraction, c’est une attitude par rapport à la vie, une manière de défier la morgue, non pas dans un grand éclat de rire (trop vulgaire), mais avec un petit sourire en coin, à la Pharell ou à la Stromae. Pile à mi chemin entre le conservatisme et le cynisme.
Est-ce que le cool va gagner ? Oui, c’est certain. La progression irrémédiable du cool dans la culture mondialisée va de pair avec tout un tas de phénomènes épars : l’idéal hacker, la prise de pouvoir de l’économie collaborative, le retour du vinyle, la désuétude du port de la cravate, la tolérance à l’égard du petit joint du soir… Le monde est plus doux, plus libre qu’avant. Plus ça va, mieux ça va, et plus c’est cool. Donc demain, il faut s’attendre à voir de nouveaux pans de la société « sérieuse » s’effondrer d’eux-mêmes : le président de la république arrivera en bermuda à l’Elysée, et d’ailleurs ce ne sera plus l’Elysée mais un espace de coworking fourmillant, débarrassé de ses huissiers en livrée. Demain, c’est le cancre qui fera cours à la place de son prof, c’est le déserteur qui convaincra le soldat de déserter, c’est le taliban qui se rendra compte qu’il est ridicule et reprendra une activité normale…
Le problème, c’est que si tout devient cool, plus rien ne sera cool. Pour saper les convenances, encore faut-il qu’il y ait des convenances ! Et j’avoue que vivre dans un monde entièrement cool aurait quelque chose de terriblement frustrant : on ne pourrait plus être insolent. Mais qu’on se rassure, il y aura toujours des énarques, des gens en uniformes et des déjeuners de famille en banlieue ouest pour nous donner envie de poser ses pieds sur la table, de sourire en coin et de fredonner les paroles de Pharell Williams : « Tape des mains si t’as l’impression de vivre dans une pièce sans toit, tape des mains si tu penses le bonheur c’est la vérité… »
Image à la une : Beyoncé
Une chronique à retrouver sur le blog d’Usbek & Rica !