Un panorama du hip-hop cambodgien, avec pour chef de file l’écurie KlapYaHandz, et la nouvelle jeunesse phnompenhoise.
Royaume où tourmente et émulation vont de pair, le Cambodge s’inspire d’un quotidien qui mélange sons de pagode et morale en décalage avec l’omniprésente tradition. Le hip-hop, avec pour chef de file l’écurie KlapYaHandz, s’impose et fait passer les messages de la nouvelle jeunesse phnompenhoise.
Des adolescents arborant des tenues sophistiquées et tous coiffés « à la coréenne », les cheveux stratégiquement hirsutes aux mèches blond platine, enchaînent les poses aguicheuses. Le dos collé au mur, la tête relevée, le regard allumeur, elles défilent dans le hall du siège du label KlapYaHandz, qui sert également de bureau à Sok « Cream » Visal, 39 ans, le fondateur franco-khmer. « Elles viennent pour un casting. En parallèle du label, j’ai aussi monté une boîte de production, 391 Films. Pour la petite histoire, on a shooté avec Angelina Jolie pour Louis Vuitton le mois dernier, et ce mois ci on se fait « Globe Cooker » pour Canal + », explique Cream, posé, derrière son ordinateur.
C’est à ce moment qu’il décide de se consacrer pleinement au hip-hop, et se lance dans la production d’instrus à base de samples piochés dans le rock cambodgien de la fin des 60’s, qui donneront naissance à une première compilation d’un genre nouveau dans le folklore khmer.
« Avec Dj Sope, un ancien membre d’un gang khmer venu de Long Beach, en Californie, nous avons commencé à promouvoir le hip-hop cambodgien à la fin des années 90. Ça a super bien marché, Dj Sope est devenu célèbre dans le pays et s’est mis à faire de la radio. Une première soirée, intitulée Next Episode, a lancé le premier vrai tube, « Everyday », de Dj Sdey qui racontait comment les jeunes allaient manger des épis de maïs derrière le pont japonais au lieu d’aller en cours. Les ados ont immédiatement accroché. »
Les rappeurs tournaient en rond avec leurs textes, qui n’évoquaient finalement que leurs histoires de filles
Le rap commence à prendre de l’ampleur et des MC’s apparaissent, soutenus par des labels comme Phnom Penh Bad Boys. Mais le succès devient vite incontrôlable, et « le manque de rigueur des artistes, leurs problèmes personnels, l’absence persistante de moyens pour ces gamins qui aspirent à la célébrité immédiate » a progressivement fait mourir la jeune scène. En 2004 Cream décide de se consacrer à sa carrière de publicitaire.
Il n’a toutefois pas fallu attendre longtemps pour qu’il reprenne du service derrière les consoles de son, et c’est en la personne du jeune rappeur Aping qu’il trouve un second souffle. « J’ai tout de suite accroché sur ses paroles, et il a accepté de chanter sur mes instrus. C’est là que KlapYaHandz est né. Nous avons composé de nouvelles chansons, distribué l’album partout, et le charme a agi, le mouvement hip-hop s’est remis en marche, de nouveaux artistes sont venus frapper à ma porte. Des rappeurs comme KDep, puis Phou Klaing qui était avant aux États-Unis, ou les Khmer Rap Boys se sont imposés. Les Khmers de France et des États-Unis ont aussi beaucoup contribué à l’essor de ce style ici, en envoyant des CD, ou avec Internet. Ça venait d’ailleurs, c’était nouveau, le côté bling bling avait pris le dessus et les gens s’y sont tout de suite identifiés. Les jeunes qui ne possédaient rien désiraient les voitures et les maisons luxueuses, voulaient vivre la fête retranscrite dans les clips diffusés par la télévision. »
Ce traitement au premier degré est cependant loin de satisfaire Cream, bien qu’il soit en train de produire des morceaux plus « reggaetton » ou « dub », histoire de toucher des oreilles inédites. L’image qu’il défend du hip-hop ne correspond pas à sa réalité, et le self made man se met alors à écrire ses propres paroles.
« Les rappeurs tournaient en rond avec leurs textes, qui n’évoquaient finalement que leurs histoires de filles. Les gamins n’ont pas encore de recul pour écrire des lyrics consistants. Souvent ils ont dû arrêter l’école tôt, leurs parents ont une éducation limitée. Je leur propose de réfléchir sur des situations du quotidien, je leur fais écouter des artistes d’autres pays pour qu’ils s’imprègnent de différents styles. Ca commence à venir. Lisha, chanteuse et productrice (photo ci-dessous), vient de poser avec un crew suédois Maskinen (qui ont fait un morceau avec Afrika Bambaataa), à fait une scène avec la californienne Laura Mam & The LikesMe, et n’hésite pas à investir la scène lors des représentations locales, qu’elles soient hip-hop ou rock. C’est une artiste complète. »
Surtout que le hip-hop cambodgien n’a pas réellement l’aval des clubs, essentiels à la diffusion de la musique auprès de la foule.
« Ils préfèrent jouer les tubes américains, se désole Cream. Le rap n’est pas considéré par le gouvernement ou les maisons de disques comme une musique cambodgienne, mais plutôt comme quelque chose qui bafoue les valeurs de la société, alors ça devient compliqué. Le piratage est notre meilleur outil de distribution. Dès que nous sortons un album, nous comptons sur l’énorme réseau de piratage de la ville pour le copier et le distribuer partout ! »