Un amateur aurait retrouvé le reste de la peinture de Gustave Courbet. Notre spécialiste raconte
La plasticienne Orlan lui avait greffé une grosse bite entre les cuisses et l’avait rebaptisé L’Origine de la guerre. Rigolo. Mais le chef-d’œuvre de Gustave Courbet présenté au musée d’Orsay depuis 1995, figurant selon un cadrage en plongée une vulve de femme agrémentée d’une épaisse motte velue, est cette semaine l’objet d’une invraisemblable découverte qui mérite un peu plus d’attention que les milliers de détournements qu’il suscite à longueur d’année. De sa maison de repos le magazine Paris Match révèle ce scoop : On vient de retrouver son visage…
De 1400 euros à 40 millions
En 2010, un amateur achète un magnifique portrait anonyme chez un antiquaire parisien pour quelques clopinettes puis mène l’enquête (recherches en bibliothèque, expertise, radiographie…) pour en déterminer l’auteur. Coup de bol, c’est un Courbet. Et coup de moule, c’est un morceau de la toile dont est issue L’Origine du monde. Les proportions correspondent, mais il y a surtout des données techniques qui ne peuvent pas mentir : écartement des poils du pinceau, nature du support, qualité des pigments… Les preuves matérielles sont irréfutables et boum, le tampon de l’expert attitré du maître en matière d’attribution (Jean-Jacques Fernier) tombe. La bricole trouvée chez Louis la Brocante pour 1400 euros en vaut au bas mot 40 millions.
Le modèle, une rousse piquée à un copain ?
Ca fait des dizaines d’années que les chercheurs s’arrachent la touffe pour prêter une identité à cette vulve. C’est une obsession, un défi de la communauté scientifique, le Boson de Higgs de l’histoire de l’art. Un argument de fiction aussi, qui a notamment permis à de la littérature mineure – celle de Christine Orban (J’étais l’origine du monde, 2000) d’écouler un peu de papier à la Fnac. Alors qui est cette fille retrouvée ? Franchement, c’est difficile à certifier. Peut-être Joanna Hiffernan, qu’on surnommait « la Belle Irlandaise », et qui a servi de modèle à Courbet à plusieurs reprises, pour des compositions ouvertement érotiques, en particulier les incroyables Lesbiennes (aka Paresse et luxure) de 1866, conservées au Petit Palais.
Le petit saligo avait piqué la jolie rousse à son copain Whistler lors d’une villégiature à Trouville en 1865 pour s’en faire sa maîtresse et sa muse… Mais bon, je ne mettrai pas ma tête à couper que c’est bien elle. La ressemblance est contestable.
Surveillez vos perroquets au grenier
Il reste donc des choses à découvrir. Peut-être même d’autres bouts du tableau… Je m’explique : on savait que Courbet avait vendu clandestinement L’Origine du monde en 1866 à un diplomate ottoman, riche, collectionneur et obsédé du nom de Khalil Bey. Des enquêtes, dont celle très fouillée et salutaire de Thierry Savatier, avaient permis de retracer le destin de l’œuvre qui passa notamment entre les mains de Jacques Lacan. On ne se doutait an revanche pas du tout qu’il existait en parallèle l’effigie complétant ce morceau mythique. Et il n’est pas impossible qu’il en demeure des fragments ailleurs ! Alors, regardez autour de vous ! En effet : originellement, l’intégralité du tableau ne se composait pas que du cadrage de la vulve conservé à Orsay et de celui du portrait qu’on vient de retrouver. L’une des hypothèses les plus sérieuses, c’est que l’artiste a peint cette femme en train de jouer avec un perroquet, selon une symbolique érotique qu’on retrouve dans une de ses toiles contemporaines (La Femme au perroquet, 1866, Metropolitan). Si vous avez dans la cuisine d’une bicoque de campagne une toile crasseuse héritée de grand-papa avec un volatile à plumes multicolores, un conseil : ne la liquidez pas au prochain « grenier dans la rue »…
On en a raconté des conneries…
Bon : une dernière chose. J’ai fait ma thèse sur Courbet, publié quatre livres à son sujet et de nombreux articles. J’ai participé à des dizaines de colloques, de séminaires donné des cours sur le peintre, des conférences et j’ai débattu des heures avec mes collègues. Qu’est-ce que j’ai pu raconter comme âneries ! J’ai participé, avec tant d’autres que je ne citerai pas, à une glose complètement délirante sur le sens à donner L’Origine du monde… Ah ! l’audace du morcellement, la cruauté du nu « acéphale », la peinture réaliste devenant un pur signifiant, la pièce manquante à l’Olympia de Manet qui montre la tête mais pas le sexe (le Christ mort de Mantegna fécondant L’Olympia avais-je lu aussi ), l’écho aux photographies pornographiques de Belloc, le sexe-paysage et tant d’autres spéculations esthétiques, psychanalytiques, structuralistes et poststructuralistes : du vent, tout ça !
Allez, j’ai dit que je ne balancerai pas les copains, mais quand même, parce que c’en est pas un et qu’on l’adore tant il nous fait rire en racontant tout et surtout n’importe quoi, voici le commentaire mythique de Philippe Sollers devant la caméra de Jean-Paul Fargier en 1982. Montrant une production de L’Origine du monde à la une d’Art Press avec les poses de l’intello mondain : « L’effet n’est-ce pas, l’effet qui se situe ici [indiquant le ventre] avec la fente suggérée doit produire sur le spectateur un effet calculé, maximum, puisque ce ne sera jamais quelqu’un ou quelqu’une et, comme vous voyez ça ne marchera pas. »
Encore raté, Filou, c’est devenu quelqu’un et ça marche très bien. Joli coup, monsieur Courbet.