Anouk Grinberg l’incarne aux Bouffes du Nord, jusqu’au 24 janvier.
Toc toc toc, c’est le théâtre ! Tradition des trois coups peu pratiquée aux bouffes du nord à Paris où nous étions hier pour assister à la représentation de Molly Bloom avec Anouk Grinberg, qui se joue jusqu’au 24 janvier.
Profitant du bar agréable qui jouxte le plus beau théâtre du coin, on discutait nos avis qui divergeaient juste assez pour se rejoindre avec bonheur dans la satisfaction.
A retenir, au théâtre quand il y a un bar, le 4ème mur a des oreilles – coup de bol on les flattait. Nous voilà donc à discuter avec Antoine Régent qui interprête Léopold. Léopold c’est le héros de l’Ulysse de Joyce, dont Molly bloom est une adaptation du dernier chapitre : « Pénélope ». Dans l’Ulysse, on suit les errances et déambulations de Léopold et son pote Stephen Dedalus, durant une journée de 1140 pages en poche.
Seulement, durant ces intenses 55 minutes que durent la pièce de Jean Torrent, Léopold passe au second plan, et tandis qu’il ronfle sa gnôle, sa femme divague sa pensée récemment adultère en une fiévreuse insomnie langagière. Sa parole se déroule en voluptes, en digressions de 2h à 5h du matin, sans interruption, sans ponctuation, telle que Joyce l’a écrite.
L’Ulysse mérite sa très rapide mise en contexte. Ecrit par l’irlandais James Joyce et publié sous forme de feuilleton dès 1918, L’Ulysse c’est LE roman, un de ces mythes littéraires qui conserve ses mystères. Il faut dire que peu de personnes qui en parlent l’ont véritablement lu.
Adaptation de L’Odyssée d’Homère (autre titan littéraire, ou Cyclope ou Circée ou Cirrhose, non, pas cirrhose, simple emportement homophonique), l’Ulysse c’est en 1918 le résultat de 7 ans d’écriture. 7 années durant lesquelles Joyce a très légèrement négligé sa femme allant, selon la légende, jusqu’à lui demander de le tromper pour pouvoir décrire avec précision les affres de l’adultère. Il semble faire d’elle sa Pénélope, attendant le retour de son mari perdu sur les flots troubles de la création.
Dans ce dernier chapitre de L’Ulysse, Molly bloom ou Pénélope, il y a quelque chose d’une récompense, y résonne un vibrant hommage à la patience féminine, à la femme envisagée dans toute sa vérité, son désir, ses sacrifices, son évidente nudité. Une femme décrite si scandaleusement pour l’époque, que le roman sera interdit jusque dans les années 40 aux Etats-Unis,
Durant 55 minutes alors que Léopold dort, Molly souffre, rit, jouis, vit, revit, et clôture par le commencement d’un amour inaltérable, dans un oui qui se crie au ciel entre colère et orgasme final.
L’interprétation surprenante d’Anouk Grinberg, met le texte écrit en parole qu’elle étouffe parfois jusqu’à la rendre inaudible, pour mieux faire savourer une clarté retrouvée. La pensée et la langue serpentent, s’enroulant autour de mots qui retrouvent alors, grâce au découpage rythmé et à la traduction vivante, tout leur humour et leur modernité : « son sidérant machin » ou « Les bonnes sœurs doivent sonner l’angelus à s’en faire péter le caisson », s’intègrent sans difficultés manifestes à la prose Joycienne.
Si vous n’êtes pas à Paris, vous n’êtes pas condamnés à l’obscurité : Joyce peut vous allumer la bougie à travers son texte même, dans une nouvelle traduction très contemporaine. 12 traducteurs, parmi lesquels le très estimé Bernard Hoepffner, y ont oeuvré sous la direction de Jacques Aubert.
Objectif, aller au-delà de la page 148 que je n’ai personnellement jamais pu dépasser mais sans jamais cesser d’apprécier le trajet vers l’échec.
« Molly Bloom », adaptation de Jean Torrent, Anouk Grinberg, Blandine Masson, avec Anouk Grinberg, la participation D’Antoine Régent, la voix d’André Marcon, jusqu’au 24 janvier aux Bouffes du Nord.
L’Ulysse de James Joyce, nouvelle traduction sous la direction de Jacques Aubert,sortie le 24 octobre chez Gallimard, 1664 pages, 12,80€