Attaqués, les crédits à la consommation (les subprimes empoisonnés) n’en finissent pas de se réinventer
Depuis la crise économique de 2008, on les sait totalement anachroniques et dignes de l’Ancien régime. Hommes et femmes politiques de tous bords, adeptes des discours performatifs et autres experts ès “économie de l’arnaque” se sont inlassablement succédé aux micros des médias pour les vouer injuste aux gémonies. Certains “retraités” se sont même risqués, après en avoir vanté les mérites, à annoncer leur disparition prochaine…
De quoi parle-t-on ? Des subprimes bien sûr, ces crédits hypothécaires pourris, accordés à des taux exorbitants à des personnes dont on sait pertinemment qu’elles ne seront jamais en mesure de les rembourser. Ces crédits toxiques ont plongé le monde – occidental surtout – dans une récession économique, au mieux une stagnation, digne des années 30. Aussi eut-il été judicieux de penser à, osons le mot, les éradiquer. Mais voilà, dans la société du spectacle et de la consommation, il faut – je vous le donne en mille – pousser les gens à la consommation, même quand ils n’ont pas le sous. C’est là toute la force de l’économie libidinale contemporaine, on a beau être à sec, on désire toujours plus, et sensiblement on désire avoir plus, posséder plus de choses. A ce compte-là, il y aura toujours des gens pour vous prêter – à des taux prohibitifs évidemment – le précieux sésame monétaire.
Allez on risque une parabole musicale complètement anti-matérialiste :
Dans ce contexte, le défi pour les nouveaux acteurs-su(b)primeurs arrivés sur le marché du pauvre après 2008 consiste à se distinguer de leurs aînés et à opposer à leurs pratiques ouvertement vénales et usurières des modèles plus vertueux de financement de la consommation, dans la forme du moins. Aux Etats-Unis, le résultat de cette mue financière s’appelle ZestFinance ou LendUp.
De l’acidité du zeste
ZestFinance joue la carte “techno” pour se différencier. La start-up de Douglas Merrill installée à Los Angeles utilise des algorithmes comparables à ceux de Google pour traiter un nombre inédit d’informations concernant les emprunteurs potentiels (70.000 variables intégrées) et établir avec justesse le risque lié à leurs emprunts. Ce système leur permettrait de facturer leurs services 40% moins chers que le reste du marché. En effet, plus grande est la capacité du prêteur à établir un profil fiable et précis de l’emprunteur – ce que semblent permettre les algorithmes “Google-style” – plus bas seront les prix proposés à échéance égale. Pour l’instant la petite société californienne loue sa technologie à Spotloan, un site de prêt allouant des sommes de $300 à $800. Après enquête et simulation, le magazine Wired indique que le taux de remboursement annuel standard proposé par le site est de 330% (!), ce qui revient, pour un prêt de $300 contracté en début d’année, à rembourser $990 à la fin de l’année. On ne sait pas encore de qui, de Ghandi ou Mère Thérésa, le site se réclame le plus. A sa décharge, néanmoins, il propose le taux le plus bas du marché (157%) pour un prêt de 3 mois : si l’on vous prête $300 pour reprendre notre exemple, il faudra vous acquitter de $471 le trimestre suivant.
Douglas Merill reconnaît que ses prix demeurent très élevés (par rapport aux cartes de crédit par exemple) mais se défend d’arnaquer ses clients. S’il propose des prix aussi élevés, c’est parce qu’il vise un marché de niche – les pauvres – et prête à des personnes qui n’ont pas accès au crédit bancaire ou qui ne peuvent pas emprunter à leur famille. Telle est bien la logique circulaire du capitalisme tardif, plus vous êtes pauvre, plus l’argent vous coûte cher.
A la bonne odeur du pauvre
Autre grand philanthrope, LendUp mise sur le design de son site pour affirmer sa différence. Son credo ? La transparence. Sa plus-value ? un site qui se veut “friendly”. LendUp a également mis au point des techniques sophistiquées (moins cependant que celles de ZestFinance) de contrôle de la solvabilité et des capacités de remboursement des emprunteurs. L’espionnage du compte Facebook du client fait partie de ces joyeuses techniques de contrôle. Elles permettraient au site de proposer des clauses plus attractives, car plus “éthiques”, que celles de ses concurrents : extension automatique du prêt de 30 jours s’il n’a pas été remboursé à temps, impossibilité de rembourser un prêt en en contractant un nouveau, de contracter un prêt de plus de $250 tant qu’on n’a pas prouvé sa capacité de remboursement…
Ces mesures vont globalement dans le bon sens ; elles permettront peut-être, si elles sont généralisées, de ne pas reproduire la gabegie planétaire entamée en 2008. Il ne faut pourtant pas se leurrer sur l’ambition de Sasha Orloff, le PDG de LendUp. La start-up de San Francisco n’est pas un organisme social ou humanitaire, mais une entreprise à but explicitement lucratif qui navigue au beau milieu d’un océan de fric. Le marché du prêt sur salaire (payday loan market) génèrerait ainsi 44 milliards de dollars par an. Ajoutons à cela les 2,5 milliards de personnes qui de part et d’autre de la planète n’ont pas encore accès au crédit bancaire, et qui malgré cela dépenseront 6000 milliards de dollars cette année, soit 1/10 du PIB mondial.
Les sociétés de crédit ont bel et bien du flair : elles sentent la bonne odeur pauvre.