Rap, électro-pop, gabber… aucun chemin n’est laissé inexploré dans la première compilation de Nadsat parue le 5 mars dernier chez Because Music.
« Un polaroid de la scène actuelle en France » nous dit Max Le Disez d’AMS, l’agence d’artiste à l’origine du projet. Et s’il y a bien une chose qui caractérise cette scène club actuelle (et donc cette compilation), c’est l’hybridation des genres, et l’affranchissement des frontières entre les scènes – que certains pensaient trop éloignées pour bien s’entendre. Il n’y a qu’à écouter « Oya Faya » d’AnyoneID qui érige un pont entre la bass-house et le dancehall, avec des vocals en Yoruba qu’il préfère à l’anglais, déjà beaucoup exploité dans les morceaux de « club music ».
Il n’est pas le seul à bouder la langue de Drake au profit d’une autre. Wolof, français et arabe sont aussi mis en musique au fil des quinze titres de cette compilation. En en-tête du disque, il y a Nadsat, nom d’une langue fictive mélangeant russe et anglais créé par Anthony Burgess dans son roman Orange Mécanique (adapté par Stanley Kubrick pour le bonheur des cinéphiles).
Dans l’histoire, cet argot est exclusivement parlé par les jeunes, (d’ailleurs Nadsat est l’équivalent du suffixe -teen), il n’y a qu’eux qui le comprennent. Et puis, de toute façon, les adultes n’y sont pas très présents.
Ici aussi on parle de jeunes. Pas divisés en gangs ultra violents comme chez Burgess et Kubrick mais plutôt héritiers d’un monceau d’influences, puisées dans plusieurs sources. Certaines plus mainstream comme la pop survoltée des années 80 (Niagara, Les Rita Mitsouko) que l’on retrouve dans les rythmiques de « Discoteca » du duo ascendant vierge.
D’autres viennent de la diaspora et de ses cultures sonores, infusées ici dans les morceaux de Kabylie Minogue (rien à voir avec Kylie même si c’est un jeu de mots très rigolo) ou de Nyokô Bokbaë. Il y a aussi le rap underground dynamité façon « Frapcore » (French Rap Hardcore) de Von Bikräv et Evil Grimace, membres du collectif Casual Gabberz, qui fournit une partie non-négligeable des morceaux sortis des enceintes portatives lors de manifs’ étudiantes ou cortèges contre la violence policière.
Ces artistes sont diversifié(e)s par leur milieu, par leurs origines, par leurs identités tout simplement. Unis sur un dancefloor inclusif où les propositions sincères seront au moins acceptées et au mieux encouragées, il est logique qu’ils enfantent d’un manifeste comme celui-ci, conscient de ce qui l’a précédé et qui le joue à sa sauce, distillant çà et là des clins d’œils à une éducation personnelle alternative.
S’il y a bien quelque chose à regretter, mais ça Nadsat n’y peut rien, c’est que la plupart des musiques de la compilation auront du mal à exister dans la durée sans les clubs et friches alternatives – comme le Meta à Marseille ou La Station à Paris – qui ont vu ses scènes émerger, en offrant plus de libertés à ses acteurs.
« Dans un tiers-lieu, tu te sens plus libre. Ce sont des lieux avec des plages horaires plus longues, ça commence plus tôt et ça finit un peu plus tard. T’es dans des lieux à vivre. (…) Et puis il y a des logiques économiques. Les tiers lieux ont des coûts de fonctionnement moindres par rapport aux clubs. Du coup, ils ne sont pas obligés d’aligner des headliners (ndlr. têtes d’affiches). Aujourd’hui un lieu comme La Station arrive à faire beaucoup de monde avec parfois des scènes locales, des jeunes artistes. » – Max Le Disez
Car c’est là que se rencontrent ceux qui font vivre cette scène, c’est aussi là que l’on mesure le succès d’un morceau (d’ailleurs Nadsat fait ses premiers pas à Club Trax – La Rotonde Stalingrad – en juin 2018, avec déjà quelques noms de la compilation).
En attendant, Crystallmess qui signe “Issa Revenge” sur la compilation, sera ce vendredi dans notre Teuf d’appart, à partir de 22h.