Mathias Théry et Étienne Chaillou suivent Bastien, jeune militant picard, qui idolâtre Marine Le Pen et apprend à nouer sa cravate pour monter les échelons du Front.
Dans un décor épuré, lumière tamisée, un fauteuil vide, filmé du dessus. Une porte grince. Un jeune garçon aux épaules larges s’assoit, un peu gêné. Ses mains prennent un manuscrit sur lequel il y a inscrit « La cravate ». Ce sera le nom du documentaire aux allures de film des deux réalisateurs, Mathias Théry et Étienne Chaillou…en référence à cet accessoire que Bastien, leur héros, va apprendre à porter à mesure qu’il monte les échelons politiques d’un parti d’extrême droite, de l’ancien FN.
Les deux réalisateurs suivent avec leur caméra l’ascension de ce jeune militant de Beauvais plutôt sympathique pendant huit mois. Le spectateur se plonge avec eux dans les coulisses de la campagne présidentielle de 2017 dans le Nord de la France. Le documentaire tient toute son originalité dans le procédé de narration : entre ces images de reportage, s’intercale un long plan-séquence dans lequel Bastien, assis dans son fauteuil, réagit. Face à la caméra, il s’interroge, il réagit au scénario proposé par Mathias Théry et Étienne Chaillou. Il devient ainsi le héros de sa propre vie.
« On a mené des entretiens non-filmés au début, seulement audios, pour écrire le scénario. On y est allé en douceur avec Bastien. On ne peut pas braquer une caméra sur lui. L’entretien qui est filmé comme un plan-séquence, celui où on lui remet le script, n’arrive qu’après huit mois » explique Étienne Chaillou. « Dans ce film, il lit sa propre histoire et il a le pouvoir d’arrêter le récit, et de réagir, de discuter avec nous de répondre à ce que l’on dit de lui » précise Mathias Théry.
Dans la bande-annonce, Bastien se demande s’il passe pour un salaud. C’est la question que tout le monde se pose. « L’objectif du film n’est pas de dire s’il est un salaud ou pas un salaud mais d’essayer de mieux comprendre la trajectoire d’un jeune homme, entre ses 15 ans et ses 20 ans qui se met à devenir un fervent militant, voire un petit cadre de l’ex Front National » explique Mathias Théry. « Ce qu’on essaye de proposer dans ce film, c’est d’enlever les étiquettes qu’on a pour aborder le front national. Comme si pendant un temps, le temps d’un film, on repartait à zéro, et on se demandait qui est Bastien, quel est son parcours, par quoi il est passé avant de commencer à lui coller l’étiquette habituelle », dit-il. « On n’est pas du tout sur l’analyse du programme du FN mais sur ce qui motive Bastien », commente Étienne.
Sans lui mettre une étiquette, Bastien a l’air d’y croire à ce « nouveau » FN en proie à une stratégie de « dédiabolisation », qui a commencé bien avant la campagne de 2017. « En surface oui, Bastien y croit au nouveau FN. Il cherche à nous raconter un front national très propre. Je dirais qu’il fait mine d’y croire », raconte Étienne. « Dans le film, on raconte sa relation particulière à la dédiabolisation de ce parti d’extrême droite. Bastien est à la recherche d’une respectabilité. Il a envie de devenir quelqu’un d’où le titre du film… Il met la cravate monte dans le parti, il rencontre les cadres comme Florian Philippot. Bastien espère que la dédiabolisation va lui apporter quelque chose, un statut… », ajoute Mathias.
Au fil des séquences, on rentre dans la tête de Bastien. Ils racontent les racines de son engagement, les blessures de sa jeunesse, et sa déception face aux coulisses de la politique. « On sent que Bastien a envie de changer. Ce qu’il attend, il ne le sait pas lui-même. C’est quelqu’un qui aime jouer, prendre des risques dans la vie. Lors de la scission, il a suivi Philippot il a quitté le FN par fidélité. Bastien reste ambigu encore aujourd’hui à la fois il a fait un énorme travail sur lui » souligne Étienne. « Nous pensions faire un film au début sur le portrait d’un ambitieux qui monte les échelons du FN. On s’est tous rendu compte, Bastien inclus, qu’il s’est passé autre chose. C’est un film sur la tentative d’un jeune qui veut faire changer sa vie, sur la tentative d’une discussion » ajoute pour conclure Mathias.
La Cravate, documentaire passionnant dans la forme et le fond, à voir au ciné depuis le 5 février.
L’interview d’Étienne Chaillou et Mathias Théry est à retrouver dans le podcast de Pour Que Tu Rêves Encore.
Visuel © La Cravate