Alors que sort À bras ouverts, film de Philippe de Chauveron largement accusé d’entretenir les clichés racistes sur les Roms, on a discuté avec Marine Danaux, prof depuis dix ans dans des camion-écoles pour les enfants roms.
Ce mercredi sort en salles À bras ouvert, le nouveau film de Philippe de Chauveron. En 2014, sa comédie Qu’est-ce qu’on a fait au bon dieu ?, avait plié le box-office avec plus de 12 millions d’entrées. Il y mettait en scène un Christian Clavier catho-tradi, qui apprenait visiblement l’existence du couple mixte en voyant ses quatre filles tomber amoureuses d’hommes non-blancs ou non-catholiques. Les critiques enjouées avaient déjà côtoyé à l’époque les accusations de racisme. Mais dans l’ensemble, Qu’est-ce qu’on a fait au bon dieu ? avait été un succès.
Un succès pris comme un encouragement puisque le réalisateur prévoit d’en faire une suite et revient ce mercredi avec À bras ouverts, dans lequel on trouve à nouveau Christian Clavier, cette fois-ci en BHL bedonnant, « écrivain de gauche » prônant l’ouverture et qui se propose d’accueillir chez lui une famille de Roms. Il voit débarquer Ary Abittan absolument pas rom, tout en chapeau de cuir et dents pourries, avec en prime une syntaxe qui rappelle les pires clichés racistes types Tintin au Congo.
Depuis la sortie de la bande-annonce, des voix s’élèvent pour dénoncer la caricature raciste du film. Parmi elles, celle de Marine Danaux, photographe et prof depuis dix ans dans des camion-écoles destinés aux enfants Roms. À En vue de la sortie du film, Marine Danaux a publié une lettre ouverte qui tire la sonnette d’alarme sur les conditions de vie de ces populations et la banalisation du racisme. On a discuté avec elle de son engagement, des conditions de vie des familles rom, et de l’inaction générale.
De quelle manière êtes-vous engagée auprès des populations roms ?
Je suis enseignante depuis dix ans dans une antenne scolaire mobile auprès de l’association ASET93. C’est une antenne rattachée à un établissement privé qui nous emmène sur les terrains roms dans le 93, en Seine Saint-Denis. On fait l’école dans des camions transformés en salle de classe. On prépare les enfants au niveau scolaire, on les met à niveau, pour qu’ils puissent ensuite intégrer les écoles publiques du secteur.
Pourquoi avez-vous décidé de réagir avec une lettre ouverte à la sortie du film À bras ouverts, de Philippe de Chauveron ?
C’est un cri de colère, j’en ai marre. Je ne pouvais pas me taire, face à la violence qu’on rencontre chaque jour sur les terrains. Je suis tombée sur le scénario il y a un an. J’ai eu vraiment peur de ce que j’ai lu, quand j’ai vu qu’il était blindé de clichés scandaleux. Leurs personnages sont sales, bêtes, méchants, violents, profiteurs, et puis les scénaristes confondent « les roms » et les « manouches », ils ne savent même pas de quoi ils parlent.
Comment définit-on ces différentes populations ?
Les manouches sont des voyageurs français vivant hors des aires d’accueil officielles. La population rom est migrante, originaire de Roumanie ou de Bulgarie, où elle est persécutée. J’ai fait un voyage en Roumanie, à Iași, les Roms sont violemment chassés des terrasses, par exemple, et hors des villes…
Vous comprenez que ce film puisse faire rire ?
Ce n’est pas comme si c’était Les Visiteurs. C’est un film sur des gens avant tout, sur les Roms, ils sont identifiés en tant que tels. Jamais on ne ferait un film sur les Noirs ou les Juifs, ou d’autres ethnies, avec de tels clichés abjectes, ça ne passerait pas. J’ai l’impression qu’avec les Roms, la discrimination a pris tellement de place que les gens ne se rendent même plus compte que c’est du racisme.
« Les gens ne se rendent même plus compte que c’est du racisme »
Peut-être que les gens vont rire. Moi ça ne me donne pas envie de rire de voir mes élèves faire la manche le midi, parfois rater l’école pour faire la manche. Les voir se faire expulser, voir à quel point ça les perturbe… Ils nous en parlent dans les camions, la veille, l’avant-veille, ils savent que ça va arriver. Ils dorment mal toutes les nuits parce qu’ils vivent dans l’angoisse et la misère.
Vous sentez-vous impuissante face aux clichés et à la méconnaissance des Roms ?
Étant engagée depuis dix ans au sein des camion-école, je me bats tous les jours contre ce genre de clichés et j’essaie de convaincre les gens que sur place, c’est différent de ce qu’ils croient. Je sais que le film va faire des millions d’entrées et propager ce genre d’inepties débiles, ça me révolte quand on sait que alors que notre travail de chaque jour, paradoxalement, avance extrêmement lentement.
Dans quelles conditions vivent les Roms aujourd’hui en Seine-Saint-Denis ?
On peut clairement parler de bidonvilles. Ils vivent au milieu des poubelles, des rats, pas d’accès à l’eau courante… Contrairement à ce qu’on peut penser, les Roms ne sont plus nomades, ils sont juste constamment expulsés des villes.
Les enfants roms sont-ils bienvenus dans le système scolaire français ?
Théoriquement, l’école publique française ne peut refuser personne. Elle doit accepter tous les enfants, quels qu’ils soient : c’est la loi. Mais la plupart du temps, en ce qui concerne les enfants roms, les mairies trouvent le moyen de laisser trainer les dossiers, ou de refuser les inscriptions pour maintes et maintes raisons. Ils font jouer la montre. L’expulsion leur permet, indirectement, de refuser l’accès aux enfants roms.
Pourquoi l’école française ne veut-elle pas de ces enfants ?
Ce sont des questions politiques , que j’ignore. L’ouverture d’une classe UPE2A (une classe non-francophone) a un coût. Cela nécessite des moyens. Certaines écoles ne souhaitent pas avoir ce genre de “problème en plus”. On m’a déjà dit: “On peut pas les prendre eux, on a déjà trop de soucis, des classes surchargées…”
Tous les jours je vois des gamins qui essaient de s’en sortir. J’ai un lien très particulier avec eux. Je les réveille le matin, je vais les chercher, on a avec eux une complicité que n’a pas un enseignant lambda. On connaît la famille, le petit frère, la petite soeur, on entretient des liens très fraternels.
Beaucoup ont peur des “vraies écoles”, surtout les voyageurs. D’autres ne peuvent pas y accéder car leur arrivée en France est trop précaire.
On ressent toute la violence qu’ils reçoivent.
On ressent toute la violence qu’ils reçoivent. Ils nous la racontent. On la reçoit aussi parce qu’on les défend. Mais ils sont tous très enthousiastes. Pourtant, face aux portes fermées, et selon le soutien des parents, la stabilité de leur environnement, beaucoup perdent espoir. Certains parviennent à intégrer le système scolaire à force d’acharnement et c’est une véritable réussite pour moi.