Dans BAM BAM, Jean Morel et Sophie Marchand racontent l’avènement de la drill britannique.
Depuis plusieurs années déjà, en marge de la renaissance du mouvement grime au Royaume-Uni, on a vu apparaitre un genre plus underground et bien plus sombre : la « drill music ». Née dans les quartiers Sud de Chicago, la drill connaît un succès mondial en 2012, avec la figure du rappeur américain Chief Keef. Son rap se caractérise par une violence exacerbée sur des productions minimalistes et très sombres, où les batteries sont prédominantes.
La drill de Chicago a voyagé jusqu’au Royaume-Uni, où elle a été façonnée à l’anglaise. On y retrouve évidemment l’utilisation de l’argot, la focalisation sur la violence et les prods de trap mélancolico-agressives. Mais la drill UK fait très peu usage de l’autotune (quand Chief Keef, lui, mélangeait souvent sa voix aux synthés) et surtout, elle incorpore des réminiscences du flow saccadé du grime. La drill anglaise réussit le tour de force d’être encore plus sombre et agressive que son pendant américain, et s’affirme avec une identité très locale qui parle des gangs des alentours sans volonté d’être comprise au-delà des règlements de comptes de Brixton.
Brixton, l’épicentre
Brixton, dont The Clash parlait déjà dans le fameux « Guns of Brixton », c’est le quartier historique des Jamaïcains à Londres, mais aussi un terrain d’émeutes raciales et de violences policières. C’est aussi le quartier d’origine de la drill UK, avant qu’elle ne se répande dans tous les quartiers sensibles de Londres.
La drill, c’est d’ailleurs la police qui en parle le plus, en tout cas bien plus que les médias musicaux généralistes. À de multiples reprises, la police a tenu la drill responsable de la recrudescence de violence dans ces quartiers. Scotland Yard a même demandé à YouTube de supprimer certaines vidéos du genre de la plateforme.
Surveillance accrue
Fin mai, une agence nationale de quotidiens anglais, la Press Association, annonçait que des dizaines de vidéos avaient été supprimées. Depuis quelques années, YouTube a même développé une politique spécifique au Royaume-Uni pour bloquer certaines vidéos, notamment lorsqu’un individu brandit une arme de manière menaçante dans un clip. Les autorités anglaises possèdent même une base de données de plus de 1 400 vidéos de drill, utilisée à des fins de renseignement, et demandent désormais aux groupes de les prévenir avant le tournage d’un clip.
Il faut dire qu’en Angleterre et au Pays de Galles, les statistiques de crime à l’arme blanche ont considérablement augmenté. En août dernier, Londres a passé la barre des 100 homicides depuis le début de l’année. Un chiffre qui n’avait pas été atteint si tôt depuis dix ans. C’est désormais plus que New York.
Il faut toutefois nuancer l’impact réel de la drill sur cette flambée de violence. Le NME s’est ainsi fendu d’une tribune contre le Tabloid Daily Mail intitulée « Ta gueule le Daily Mail, ce n’est pas la drill qui crée la violence » affirmant au contraire que le genre musical en est, à l’inverse, la conséquence.
Il faut rappeler que Londres est une ville profondément inégalitaire : 37 % des enfants y vivent sous le seuil de pauvreté, de moins en moins d’argent est alloué aux universités et, en parallèle, les frais universitaires ont explosé alors que les bourses comme l’EMA, destinée aux enfants pauvres sont, quant à elles, supprimées.
Pour rappel, une coupe de 12 milliards d’euros avait été votée en 2015. Elle touchait particulièrement les familles à bas revenus, puisque les aides au logement et les réductions d’impôts liées au nombre d’enfants étaient directement ciblées.
On peut donc se dire que ces gamins qui font des millions de vues sur YouTube sortent aussi leurs familles de la misère. C’est notamment le cas d’Unknown T avec son morceau « Homerton B » qui vient de claquer cinq millions de vues en deux mois.
BAM BAM, c’est le Bureau des Affaires Musicales de Radio Nova, animé par Sophie Marchand et Jean Morel, du lundi au vendredi sur Nova.