Soulagée par un nouveau-né virtuel, « Savior ».
Les manettes cubaines se mettront bientôt en action avec un nouveau jeu vidéo fait maison, Savior. Il s’agit du premier, ou plutôt de l’un des premiers divertissements virtuels développés dans le pays. Ses créateurs ont dû faire face à de nombreuses restrictions gouvernementales. Des obstacles qui empêchent l’écosystème du gaming de s’émanciper.
Cuba côtoie pourtant depuis longtemps les jeux vidéos. Davantage pour son histoire révolutionnaire. En 2010, la sortie de Call of Duty : Black Ops provoque un tollé. Les joueurs sont incités en pleine guerre froide à assassiner l’ancien président cubain, Fidel Castro.
Pour le gouvernement cubain, il s’agit d’un affront des États-Unis, pays dans lequel a été développé le jeu. Il dénonçait alors via un site sponsorisé par l’État, CubaDebate : « Ce que les États-Unis n’ont jamais réussi à faire en 50 ans, ils essaient désormais de le faire virtuellement » en demandant aux joueurs d’assassiner Fidel Castro dans un jeu qui n’est « sans aucun doute, qu’un divertissement pour psychopathes ».
Guerilla War
Pour Phillip Penix-Tadsen, auteur de Culture Code : Video Games and Latin America, il s’agissait là probablement d’une déformation des intentions des développeurs, mais il n’y a rien de surprenant à ce que le gouvernement cubain réagisse de manière négative à un produit de divertissement qui se concentre, au moins partiellement, sur une tentative fictionnelle d’assassinat de Castro.
Ce n’est pas la première fois que la révolution cubaine alimente l’histoire d’un jeu vidéo. C’était déjà le cas pour le jeu de tirs Guerilla War – qui s’appelait initialement Guevara – un classique d’arcade qui sortait en 1987, édité par l’entreprise japonaise SNK. Le joueur y contrôle des avatars du Che et de Fidel.
L’intérêt de ce jeu, pour Philip Penix-Tadsen, est qu’il montre à quel point ces divertissements virtuels peuvent rapidement prendre une dimension politique dès leur export. « Pour la sortie du jeu aux États-Unis, les identités des personnages ont changé et le titre est devenu Guerrilla War, étant donné que SNK anticipait des problèmes aux US avec le vente d’un jeu où les joueurs devraient explicitement combattre aux côtés d’une révolution communiste. »
Dans son livre, Phillip Penix-Tadsen explique que la période post-révolution a également imprégnée de nombreux jeux vidéos, avec des mises en scène d’interventions américaines, d’intrusion internationale et d’activité criminelles notamment. « Tout comme l’ancien Mexique, les colonies espagnoles, et la jungle amazonienne, la révolution et la post-révolution cubaines représentent l’un des scénarios les plus souvent utilisées dans la représentation de la culture latino-américaine dans les jeux vidéos. »
Ces exemples témoignent du fait que Cuba est depuis longtemps représenté dans les jeux vidéos développés à l’étranger. Il en est autrement pour les créations nationales. Leur développement est très restreint, pour de nombreuses raisons que pointe Philip Penix-Tadsen. « Les ordinateurs à la maison étaient complètement bannis à Cuba jusqu’en 2008, et même après cela, les technologies coûteuses comme les ordinateurs restaient au-dessus des moyens de l’individu lambda. De même, le gouvernement cubain a été assez lent à investir dans ces types de programmes éducatifs et ces infrastructures qui nourrissent le développement de jeux ».
Savior first trailer prior to the demo launch next month. We hope you enjoy it!!! https://t.co/TLBYI9CuaY
— Savior – Indie Game (@saviorindiegame) June 15, 2017
Savior, sauveur
En 2013, le gouvernement cubain bannit les « cyber game salons », et semble alors vouloir empêcher tout développement d’un business autour du divertissement virtuel. « Il y a beaucoup d’explications possibles à ces restrictions, mais le désir du gouvernement d’avoir un contrôle idéologique et économique sur les citoyens cubains en est la cause profonde », analyse Phililip Penix-Tadsen.
Josuhe Pagliery, l’un des concepteurs de Savior, ne s’inquiète pas vraiment des potentielles restrictions gouvernementales. Elles ne l’ont pas empêché de créer ce nouveau jeu vidéo. Il avoue cependant ne pas avoir travaillé dans des conditions idéales. « Créer un jeu vidéo ici à Cuba, c’est comme travailler dans le noir, on n’a pas les références, d’histoire, d’aide, de véritables retours. »
Il ajoute : « Il faut se préparer au fait de venir d’un pays du tiers monde où il y a des choses basiques que tu n’as pas, et je pense en fait à des choses nécessaires comme un accès à internet ou un ordinateur décent. »
Laberinto del saber
Savior sortira en 2018 via l’entreprise du directeur artistique Josuhe Pagliery et du programmateur Johann Armenteros, Empty Heads Games. Ils lancent en octobre 2016 une campagne de crowdfunding pour financer ce jeu de plateforme en 2D, inspiré des productions 16 bits du début des années 90. L’histoire d’un personnage qui va soudainement découvrir que son monde n’est rien d’autre qu’un jeu vidéo en ruine.
Philip Penix-Tadsen rappelle cependant que Savior n’est pas exactement le premier jeu vidéo cubain indépendant à voir le jour. Même si l’histoire de leur développement est difficilement traçable en Amérique latine, certains commencent aujourd’hui à refaire surface. « Le premier jeu qui a été développé à Cuba, à ma connaissance, s’appelle Laberinto del saber, il s’agit d’un jeu éducatif MS-DOS dévoilé en 1988 par Yurguen Castillo et Manuel Montesino ».
Savior n’en reste pas moins un projet excitant. Pour Philip Penix-Tadsen, « l’écosystème du jeu cubain progresse, c’est la tendance générale en Amérique Latine.» Reste à savoir si le jeu vidéo à Cuba pourrait devenir un enjeu de développement, afin d’asseoir un soft power cubain, et qui sait, mener un autre discours historiographique par le jeu.
Visuel : (c) capture d’écran