Derrière les clichés et les fantasmes, une photographe essaie de traduire le vrai visage de la favela : celui que ses habitants – et notamment les enfants – aimeraient renvoyer d’eux-mêmes.
Préciser qu’Iris Della Roca est une photographe française nous avancerait à peu. Pour la simple et bonne raison qu’elle a passé la majeure partie de son enfance sur le voilier de son père, voguant de continent en continent, de culture en culture, de port en port… De cette époque, assurément, elle a gardé le goût du voyage. De la bougeotte même.
Depuis 6 ans, cette photographe de 28 ans vit la moitié de l’année à Paris, l’autre à Rio de Janeiro, dans la favela « pacifiée » de Vidigal. Lorsqu’elle débarque à Rio à 22 ans, en 2006, Iris s’installe dans le quartier chic d’Ipanema. « Trop cher, pas assez carioca ». Elle décide de s’installer à Vidigal, trois fois moins cher – qui a l’époque n’est pas une favela pacifiée (comprendre que là où aujourd’hui la police installe ses barrages, quelques années auparavant, ces mêmes entrées étaient contrôlés par d’autres styles d’hommes armés).
Malgré cela, Vidigal s’avère être un lieu de vie plutôt tranquille, et même agréable. A Paris, Iris Della Roca, diplômée d’un brevet d’éducatrice, était déjà bien investie dans le milieu associatif. C’est tout naturellement qu’elle continue dans cette voie, sur son nouveau lieu de vie. Elle s’engage auprès de « Troque une arme contre un pinceau » (tout un programme), une association fondée par un artiste plasticien destinée aux enfants de la Rocinha, la plus grande favela d’Amérique du Sud, postée entre les quartiers de Leblon et de Sao Conrado, dans la zone Sud de Rio.
© Nat Ma
L’idée est simple : proposer aux enfants un autre endroit et des autres activités entre l’heure où ils sortent de l’école et celle où leurs parents rentrent chez eux, que la rue. Mais également les sensibiliser à l’art, à l’artisanat, pourquoi pas créer des vocations et leur apprendre un métier. Ensemble, ils vont par exemple s’atteler à créer un magazine de mode, sur le modèle de Vogue ; une occasion de les initier au collage, au découpage et à la photographie, mais surtout de laisser parleur leur créativité. L’école, gratuite, a fonctionné 14 ans avant de devenir, pacification aidant, une ONG.
La photographe apprend alors, en vivant avec les familles, les enfants, leur vision, en regardant pendant des heures interminables leurs télénovelas, en respirant leur air, à se faire une idée juste et précise de la favela, terrain fertile aux fantasmes de tout le monde, des occidentaux jusqu’aux brésiliens eux-mêmes.
Si la favela n’est certes pas l’endroit rêvé pour éduquer ses enfants, il n’en reste pas moins qu’on y mange à sa faim, qu’il y existe une vie sociale active, et que les enfants vont à l’école. Mais ils subissent l’image que les médias, la société, les gens leur renvoient d’eux-mêmes. Là est le vrai terrain dangereux. Lorsqu’Iris, qui travaille quotidiennement avec eux, leur propose de sortir de leur quartier, pour aller à la plage ou se promener, les enfants foncent chez eux se laver, se coiffer, se parfumer et mettre leurs plus beaux habits. Une drôle de réaction qui fait écho à celle des « autres gens » lorsque la photographe leur dit qu’elle habite la favela : « Mais qu’est ce qu’elle va faire là-bas ?? ».
L’histoire d’enfants qui prennent le contrôle de leur condition
Deux mondes se côtoient sans se rencontrer. Une grande partie des brésiliens eux-mêmes ne connaissent pas leurs favelas, crédules devant les images et les jugements des médias les décrivant systématiquement comme terres de violences et de vols, sans autre forme de procès.
C’est de ce constat que germe dans la tête de la photographe le projet : « Puisque le roi n’est pas humble, que l’humble soit roi ». L’idée de base : un portrait où chaque enfant pourra se raconter tel qu’il aimerait qu’on le voit. Comme il aimerait être perçu, en tant qu’individu, sans être réduit à son milieu social, son lieu de vie et l’image que l’on s’en fait.
Top-model, star de cinéma, princesse ou astronaute… Les gosses sont partout les mêmes. Sa série de clichés, Iris Della Rocca l’expose simplement dans la favela, accrochée à une corde par des pinces à linges en travers d’une rue. Les parents, les copains, les enfants eux-mêmes… tous les voient enfin tels qu’ils souhaitaient qu’on les regarde. « Mine de rien, c’est l’histoire d’enfants qui prennent le contrôle de leur condition ! ». La boucle est bouclée, ou presque.
La favela a réussi à recréer une société dans les sociétés
Lorsqu’Iris retourne à Paris, son projet dans les mains et une expo en prévision, l’idée lui vient de le prolonger avec les enfants de la cité de la Forestière, à Clichy-Sous-Bois, où elle a déjà travaillé comme éducatrice. Favelas – cités, même combat ? « C’est assez différent » explique l’intéressée, « la favela a réussi à recréer une société dans la société : ils ont leurs propres fêtes, leurs propres bars, leurs vie de quartier et, c’est important, la même religion que dans tout le reste du pays. Ce que les cités à la française n’ont pas. Par contre, si les injustices sociales sont moins fortes en France qu’au Brésil, l’intégration y est plus difficile ».
Dans les deux cas, au final, la même volonté, le même combat : changer l’image que les gens ont d’eux. Avec son projet « puisque le roi n’est pas humble, que l’humble soit roi », quelqu’un s’intéresse à eux, leur propose un jeu ; il faut se déguiser, et tout le monde participe à réunir les effets qui vont habiller les modèles d’un jour. « Ca n’aurait pas été possible avec des adultes… Ils sont déjà trop affectés par la société, qui les exclut, et ils ne peuvent y échapper. Les enfants, eux, sont plein d’espoir! ».
Le drame de l’éducation
Et sinon, cette pacification dont tout le monde parle alors ? « Il y a un sacré battage médiatique autour de ça, ici au Brésil comme dans le reste du monde. Impossible de juger avant au moins 5 ans, mais ça sent plus l’opération de maquillage accompagnant la tenue de la Coupe du Monde et des Jeux Olympiques que d’un traitement sérieux des problèmes de fond. Le drame ici, c’est l’éducation et la santé. Si tu n’as pas d’argent, tu n’as pas intérêt à être malade ou à avoir de l’ambition. Malheureusement, l’égalité des chances ici n’existe pas… je ne sais pas si elle existe quelque part ».
Le vrai souci de l’éducation, c’est que le système est « inversé » : les universités publiques (et donc gratuites) au Brésil sont excellentes. Le problème, c’est que pour y entrer, il y a un concours que tu ne peux pas (ou presque) réussir en venant du public car les écoles publiques, elles, sont très mauvaises. Ce bon vieux serpent.
Tout le monde peut décider de ce qu’il va être
« Moi je ne peux pas changer ça, juste en parler. Et je ne plains pas forcément les gens des favelas. Mais l’idée que je défends à travers mon projet, c’est que tout le monde peut décider de ce qu’il va être. si tu te montres aux autres de telle manière, alors les gens te jugeront comme tel. J’ai des exemples de gens qui ont réussi à se sortir du carcan social – et je ne parle pas de musiciens ou de footballeurs ! – mais ils sont trop rares. et puis au brésil, c’est assez dur de parler des favelas ; les gens n’aiment jamais vraiment regarder dans le miroir ».
Ses projets actuels ? Elle developpe un projet photographique avec les enfants des rues et prépare une exposition à Londres de son travail sur les prostitués transexuels du quartier de Lapa.
L’identité, seul véritable combat. « Avec toujours la volonté de parler social, mais sans plomber l’ambiance ! » précise la photographe avec un sourire.