Depuis le 1er janvier 2023, La Gaité Lyrique accueille une nouvelle direction pour 5 ans, mobilisée sur un programme qui veut rapprocher les moments créatifs et le passage à l’action.
La Fabrique de l’époque. C’est le nom du projet des cinq structures (Actes Sud, Arte, Arty Farty, makesense & Singa) qui ont remporté l’appel à projet de la Mairie de Paris pour reprendre la direction pour cinq ans de la Gaité Lyrique, institution du 3ᵉ arrondissement de Paris, haut-parleur des musiques actuelles et de leurs protagonistes, terre d’accueil pour les arts numériques et dancefloor inclusif ouverts aux corps en mouvement.
Dans ce groupe de nouveaux arrivants, certain·es ont déjà un rapport historique avec le bâtiment. Vincent Carry, directeur d’Arty Farty (association mère du festival Nuits sonores), a travaillé au stade embryonnaire du projet Gaité Lyrique, en tant que conseiller artistique. Vincent Cavaroc, nommé directeur artistique à l’aube de ce nouveau mandat, était, lui aussi, présent aux premiers jours du projet, en 2011, tout comme Juliette Donadieu, actuelle Directrice du lieu.
Les équipes de l’amplificateur de projet makesense intervenait déjà dans l’espace à l’époque de cette Gaité “première génération”, et ont depuis beaucoup croisé la route d’Arty Farty, tout comme l’éditeur Actes Sud et Singa, une structure basée à Lyon qui œuvre à l’intégration de personnes réfugiées et exilées. De son côté, Arte y organise le festival Arte Concert, grand rendez-vous sonore de la fin d’automne, qui convoque les artistes qui donnent le tempo de l’époque.
Ensemble, ce groupement compte flouter la frontière entre projets artistiques et actions culturelles ou sociales. Passer de l’idée à l’action. Le weekend de réouverture du lieu, tenu du 12 au 14 mai dernier, nous dévoilait quelques-un des leviers que l’on pourra retrouver au cours des cinq prochaines années.
C’est quoi l’époque ?
“Ce qu’on a pu voir pendant ce week-end d’ouverture, c’était vraiment une maquette un peu embryonnaire, en chantier” explique Vincent Cavaroc, contacté par vidéoconférence. Un “grand quiz du climat” organisé par le cabinet de conseil Magelan, une conversation sur les liens entre révolutions et pop culture avec, entre autres, la techno-gréviste Mathilde Caillard, et des témoignages qui démontrent comment la création peut changer le monde… voilà une partie de l’ordre du jour de cette première journée de conversations qui donnait un avant-goût des thématiques qui vont nourrir la ligne éditoriale de la Gaité.
Ce nouveau départ accueillait aussi des cartes blanches données aux partenaires de cette nouvelle direction, comme les programmes proposés par Arte Radio. L’expertise de chacune des structures permet de dessiner une programmation protéiforme, en donnant à chacune un espace dans cette grande boite à outils. Le lieu présente aussi de nouveaux défis pour ces organisations, comme le rapporte Vincent Cavaroc “Comment Actes Sud peut avoir une stratégie hors les pages qui s’incarne dans un mur ? Comment Arte peut avoir une stratégie hors l’écran qui s’incarne dans un lieu ? C’est un tâtonnage assez innovant.”
Reste encore des pistes de réflexions pour cette nouvelle gouvernance qui n’a pas encore totalement fini d’assembler chacune des pièces du puzzle. Les arts numériques, auparavant au cœur de l’identité du lieu, ne retrouveront pas la même place dans cette nouvelle mouture :“Le numérique va exister dans le projet, mais comme un moyen de lire l’époque, mais pas comme une fin en soi. C’est-à-dire qu’on va retrouver potentiellement à des moments des formats, des performances, des expos qui touchent à la dimension création numérique. Mais on aura plus, en tout cas pendant tout un temps, le temps qu’on retravaille un peu les espaces, les lieux, la réglementation, on aura plus ces grosses expositions d’art numériques”.
Si la dimension arts numériques de la Gaité reste pour le moment un work in progress, le volet musical, lui, est déjà sur rails.
Keep Your Body Movin’
Côté bande-son, Benoit Rousseau, directeur Musique & Danse de la Gaité Lyrique depuis 2018 (un volet où il intervient en réalité depuis 2011) entend augmenter la voilure en visant 120 rendez-vous par an et en gardant le même cap :“ça va continuer dans la veine de ce que c’était c’est-à-dire accueillir des jeunes artistes à un moment de leur carrière où ils sortent un premier disque, un premier album.” Sur ce plan, le weekend d’ouverture montrait déjà la volonté de poursuivre ce rôle en laissant Carte Blanche à Ziak, drilleur masqué bien identifié chez le jeune auditoire, mais encore confidentiel à l’échelle de la bande-son de l’hexagone. Le soir de la Nuit Blanche, c’est Timothée Joly, “Pop.St4rr” de l’alternatif actuel et Broodoo Ramses, selector de la webradio Rinse France, qui représenteront cette nouvelle vague.
La Gaité vise aussi à faire le lien entre les figures tutélaires et les héritier·es. Samedi 20 mai, ce sont les Allemands de Tangerine Dream, pionniers du Krautrock et du travail atmosphérique de la musique électronique qui venait s’y faire applaudir, sur un plateau partagé avec la française Malibu, dont les productions peuplent la plupart des sets d’ambient de ces derniers mois. Faire dialoguer les générations, et les rassembler autant sur scène que sur le dancefloor est un des autres champs de travail de l’équipe de programmation, qui ne perd pas de vues que la musique se vit aussi en mouvement.
Depuis 2021, avec le lancement du cycle Body Movin’, qui comprend, entre autres, sessions de danse, battles de waacking et balls de voguing, l’adresse en face du Square Émile Chautemps s’est inscrit sur la carte des espaces franciliens accueillant les pratiques de danses. Les corps en mouvement seront toujours présents dans cette nouvelle mouture, qui a l’ambition d’externaliser ces rendez-vous, un projet déjà entamé depuis quelque temps, comme le souligne Benoit Rousseau : “on amène cette culture de plus en plus, via la Gaité, dans d’autres institutions. Par exemple, on va faire un ball à Marseille sur le toit du MUCEM le 16 juillet.”
L’année dernière, les danseur·euses de la House of Revlon, chapter résident à la Gaité, posait déjà un talon à Marseille pour un événement qui a regroupé 3500 personnes au MUCEM. En 2023, après Marseille viendra Lyon, pour une carte blanche à l’occasion de la Biennale de la Danse, et en décembre, direction le Pas-De-Calais, où les vogueur·euses célébreront les 100 ans de l’Opéra de Lille avec un Orange & White ball. La Gaité endosse donc aussi un rôle au-delà des portes de son bâtiment, celui d’accompagner ces pratiques, et de les amener hors-les-murs, vers de nouveaux publics. Si l’on poursuit sur une route déjà bien tracée, la Gaité Lyrique peut maintenant profiter des connexions nouvelles structures impliquées pour étendre sa programmation.
Gaité Lyrique, écho des scènes d’ici et d’ailleurs
Ainsi, lors du week-end d’ouverture, la salle du premier étage proposait une soirée club “En écho à Nuits sonores”, invitant une affiche imaginée par les programmateurs du festival de musiques actuelles lyonnais porté par Arty Farty. Les producers Maoupa Mazzocheti et Zero Crossing Point proposait alors deux lives audiovisuels, amplifiés (respectivement), par les artistes Hospice 1er et Adrien Bardet. De son côté, la productrice et DJ Glitter55 présentait un mix, lui aussi accompagné de visuels projetés sur les quatre parois de l’espace club. Ces collaborations de programmation sont amenées à se systématiser au cours de ce nouveau chapitre de l’institution.
Pour la nuit du 3 juin, la Gaité accueille un programme XXL, réfléchit autour d’un label ukrainien, Standard Déviation, qui collabore déjà avec l’association lyonnaise depuis quelques années. À la fois diffuseur de disques, instigateur du ∄, le club qui “n’existe pas”, et plateforme artistique multipliscinaire, ce collectif est un pilier majeur pour l’underground de Kyiv. Pour Vincent Cavaroc, cette Carte Blanche est une évidence, « ce collectif est à la fois assez barré au niveau musique, mais a aussi une dimension art visuel qui fait que, notre grande salle, qui permet d’avoir un très bon son, mais aussi cette qualité de projection à 360, devient un outil idéal pour eux”.
Cet événement qui invite des représentant·es de la scène ukrainienne pour des DJ sets, performances lives et projections devait initialement marquer la réouverture de la Gaité, avant d’être déplacé à la date de la Nuit Blanche. S’il n’est pas le coup d’envoi de ce nouveau chapitre, il marque cependant le début d’un nouveau cycle dans les murs “L’idée, c’est que cette soirée soit un point de départ pour nous d’une programmation plus vaste de “scènes en résistance” qui pourrait nous amener à aller du côté de la Syrie, de l’Afghanistan, […] et de documenter ces grandes causes et ces grandes luttes, à travers la création.”
Le week-end d’ouverture donnait déjà à voir des bribes de ce programme, avec une discussion autour d’importantes manifestations qui ont secoué la Géorgie suite à une loi contre des “agents de l’étranger”, une contestation amplifiée par les membres des scènes artistiques du pays, comme le racontait le journaliste Arnaud Contreras lors de cet échange. Avec cette Carte Blanche et cette discussion, on a une idée des formes que pourrait prendre ce cycle sur le long-cours. Vincent Cavaroc ajoute que “Scènes en résistance à vocation à devenir un cycle assez protéiforme qui pourrait mêler de la diffusion, de la création, de la résidence, du concert, du film ou du spectacle vivant”.
Rendez-vous donc ce samedi 3 juin pour la première étape de ce cycle, l’événement est gratuit, et toutes les infos sont à retrouver ici.