Ô bon électeur, inexprimable imbécile, pauvre hère…
Octave Mirbeau n’est pas un Mirabeau mal pigé par le correcteur orthographe. Octave Mirbeau ne vous dit pas grand chose. Pourtant au XIXème Tolstoï le considérait comme le plus grand écrivain français, libertaire, anar, brillant, antimilitariste, anticlérical, anticapitaliste, engagé, il a été un des premiers défenseur de Dreyfus ; artiste, on lui doit le Journal d’une Femme de chambre adapté au cinéma par Bunuel. Il est aussi un écrivain tourné vers la modernité avec 628-E8, le premier roman automobile où une machine est héroïne du récit. Il réitèrera d’ailleurs l’expérience avec Dingo, roman inachevé qui déplace le point de vue, de l’écrivain vers son chien devenu héros qui assume la narration.
Grand commentateur de son temps, les pensées de Mirbeau sur Balzac sont un absolu régal, mais c’est le sujet d’un autre petit carnet noir des éditions de l’Herne, celui qui nous intéresse aujourd’hui est consacré, et je cite en vrac, à cet animal irrationnel, inorganique, hallucinant, cet incurable dément, cet inexprimable imbécile qu’est l’électeur. La grève des Electeurs, brosse le portrait de l’électeur en fou qui se croit roi, sa souveraineté en guenilles il frappe le sol de son sceptre aujourd’hui de plastoc, de ceux qui miaulent et s’éclairent d’un mauvais rose, pour réclamer l’attention et le respect du à son rang de bouffon inconscient.
« Rêve si tu veux mais ne mêle jamais l’homme à ton rêve » dit Mirbeau dans son texte plus que jamais actuel. La plus dangereuse de ces chimères hybrides entre réel et imaginaire y prend la forme du suffrage universel. Aussi, il incite le bonhomme à lire Schopenhauer au coin du feu et à faire la grève de cette illusion où toujours on met « dans l’urne homicide le nom de son plus mortel ennemi« .
Il n’est pas nécessaire d’approuver les doctrines anarchiste, qui, selon Mirbeau, sont « si calomniées des uns, si mal connues des autres, » pour se régaler, se repaître de son discours. Une prose qui entre deux rires francs, oblige à la pensée tant elle s’appuie sur le plus remarquable des humours et une logique si fondamentale qu’elle est impossible à nier. Le seul contre-argument à disposition reste un pauvre « oui, enfin bon, ça fait pas avancer le schmilblick ». Un « faute de mieux » nous rappelant comme on transige non seulement avec nos idéaux mais avec l’élémentaire lucidité.
Il y a quelque chose de pourri au royaume de la démocratie telle qu’elle se pratique et Octave Mirbeau prend le crâne de l’électeur dans sa paume à la plume flamboyante qui n’est pas sans rappeler par moment un Desproges en redingote anarchiste, le regarde droit dans les yeux et interroge : voter ou ne pas voter? telle est la question.
Drôle, exaltée, la lecture de Mirbeau est profondément régénératrice pour le débat politique en particulier et l’intelligence en général. Les textes qui, dans ce carnet de l’Herne, accompagnent La Grève des élécteurs, qu’ils soient antimilitaristes comme La Guerre et l’Homme rédigé en 86, ou une présentation inhabituelle de l’anarchie comme potentielle harmonie dans l’excellente Préface à la Société mourante et l’anarchie de Jean Grave, servent toujours selon Zola « les misérables et les souffrants de ce monde« , et emportent « vers les hauteurs où l’intelligence se purifie« .
Octave Mirbeau, La Grève des électeurs, Carnets de L’Herne, 7,50€, 51 pages, le 5 mars 2014
En attendant, pour La mort de Balzac, c’est ici et pour en apprendre plus sur Mirbeau, rien de tel que retrouver ses fans à cette adresse www.mirbeau.asso.fr
Pour finir, réactualisons littérairement et littéralement la page.
Petit exercice ludique et nécessaire.
Adapter les textes suivants en remplaçant dans l’extrait les noms en gras des politiques, artistes ou média XIXème tombés dans l’oubli (Ho ça va le prof d’histoire là bas, au fond, la ramène pas trop), par de contemporaines figures publiques, de manière à constater par vous-même l’actualité du propos…
Page 10.
« Je comprends qu’un escroc trouve toujours des actionnaires, la Censure des défenseurs, l’Opéra-Comique des dilettanti, le Constitutionnel des abonnés, M.Carnot des peintres qui célèbrent sa triomphale et rigide entrée dans une cité languedocienne; Je comprends M. Chantavoine s’obstinant à chercher des rimes ; je comprends tout. Mais qu’un député, ou un sénateur, ou un président de la République, ou n’importe lequel parmi tous les étranges farceurs qui réclament une fonction élective, quelle qu’elle soit, trouve un électeur, c’est-à-dire l’être irrêvé, le martyr improbable (…) »
Page 13/14
« Car enfin, pour consentir à se donner des maitres avides qui le grugent et qui l’assomment, il faut qu’il se dise et qu’il espère quelque chose d’extraordinaire que nous ne soupçonnons pas. Il faut que, par de puissantes déviations cérébrales, les idées de député correspondent en lui à des idées de science, de justice, de dévouement, de travail et de probité ; il faut que dans les noms seuls de Barbe et de Baihaut, non moins que dans ceux de Rouvier et de Wilson, il découvre une magie spéciale et qu’il voie, au travers d’un mirage, fleurir et s’épanouir dans Vergoin et dans Hubbard*, des promesses de bonheur futur et de soulagement immédiat. »
*Tous les noms cités sont des politiques de l’époque impliqués dans des scandales comme Panama, et/ou députés Boulangistes