Une compilation raconte comment, dans les 70’s, une scène underground proposait un métissage qui devait en inspirer beaucoup d’autres.
C’est une histoire bien singulière que nous conte aujourd’hui le label Analog Africa, spécialisé dans la réédition de disques rares, ayant l’Afrique en point de mire. Cette histoire, c’est celle d’un avocat colombien en droit fiscal, Rafael Machuca, devenu dans les années 70, et la trajectoire n’est pas fréquente, producteur plein d’audace et de belles idées. Son cheval de bataille ? Faire émerger des groupes qui proposaient un son que les autres ne proposaient pas.
À Barranquilla, tout bouge
Une nuit de l’année 1975, cet avocat organise une soirée d’entreprise. Tout dépend de l’entreprise mais sur le papier, ça ne fait pas forcément rêver. Des groupes originaires du coin (la soirée a lieu à Barranquilla, cité afro-colombienne au bord de la mer Caraïbe) se pointent, jouent des morceaux, font voyager le public, et Rafael surtout, dans une galaxie que l’auditoire ici présent ne connaissait pas encore tout à fait.
Cette galaxie, c’est celle de ces musiques qui circulaient dans quelques fêtes obscures de quartiers, et celles diffusées par des sound-systèmes aux murs de sons colorés. On y joue, non pas le boléro et le vallenato (des genres très populaires dans la Colombie des années 70), mais de la cumbia, de la champeta, de la musique psyché, mélangés à de l’afrobeat, du highlife, du soukouss. C’est un grand mélange entre ce qui se joue sur le continent sud-américain et ce qui se joue sur le continent africain, qui s’articule devant Rafael. Cette soirée d’entreprise s’oriente vers des horizons inattendus. Pour lui, c’est une révélation.
Quelques semaines plus tard, bouleversé par ce qu’il a entendu ce soir-là (une sorte de satori bouddhiste… mais version cumbia !), il ne fait plus partie de l’administration colombienne, mais du clan secret des diggers qui font de la musique underground le point central de leur existence.
Dénicher des artistes qui ne savent pas encore qu’ils le sont (au sens « industrie du disque » du terme), et faire-savoir au public qu’ils existent, ces artistes. Rafael Machuca lancera donc le label Discos Machuca. Et accueillera des artistes attirés par une certaine idée du grand mix, qui circulent en marge, et qui se nomment La Banda Africana, King Somalie, Conjunto Barbacoa, Abelardo Carbono.
Plus étonnant encore, lorsque Rafael n’avait plus suffisamment, en réserve, de groupes pour satisfaire les besoins qu’il avait lui-même créés… il en créait lui-même, profitant du réservoir formidable de musiciens que lui offrait ces groupes qui donnaient un vrai sens au mot « underground ». Eduardo Dávila, ingénieur du son de la plupart de ces groupes dans les années 70, parlait ainsi des« B-Movies de la musique colombienne ». Du do everything yourself à la colombienne.
Ces dernières semaines, une compilation (La Locura de Machuca, 1975-1980) les regroupe donc, ces groupes tombés dans les limbes de l’histoire. Dix-sept titres enregistrés entre 1975 et 1980, et regroupés par Samy Ben Redjeb (le boss du label Analgog Africa, à qui on doit, par exemple, la superbe compile sur le funk vintage de Mogadiscio ou celle sur les sons de Belém et de l’Amazonie brésilienne) et par Lucas Silva (fondateur du label Palenque Records), lancé dans un véritable travail d’archivage et de collectage de cette scène… depuis plus de 15 ans !
Pour une histoire de l’Afrique, vu à travers les rivages des terres colombiennes, c’est par ici.
Visuels © Analog Africa