Une rétrospective débute au Centre Pompidou.
Le Centre Pompidou consacre une rétrospective unique à Harmony Korine, l’enfant terrible du cinéma indé américain. Une œuvre provocatrice et mélancolique. On le devine, de Roy Orbinson à Britney Spears et de Sonic Youth à Rihanna, les images d’Harmony, films ou clips, se racontent avant tout en musique(s).
Tout a d’ailleurs commencé en musique. Celle, rageuse, des Beastie Boys, traversant le Kids de Larry Clark (1995), premier film (culte) scénarisé par Harmony Korine. Ledit « kid » n’a alors que dix-huit ans et passe son temps à skater à Nashville en écoutant du punk hardcore. Deux ans plus tard, le voici cinéaste. Son premier film en tant que réalisateur, Gummo, freak show encombré de mômes malformés, de chats crevés et d’adultes ravagés, Korine l’envisage en rhapsodie – une composition libre et éclatée – qui à tout moment peut virer au concert rock – comme lors de cette interminable scène où quelques gus détruisent une chaise. Avec son grain vidéo sali et ses décors de décharge, Gummo maltraite l’image et pose les bases d’un monde imprégné de l’esprit no future.
Jeunesse fiévreuse
Gavé de marginaux pour zones malfamées, le cinéma de Korine contient en lui les provocations d’une jeunesse fiévreuse – la teenage riot. Logiquement, son second méfait est un clip pour Sonic Youth, « Sunday » (1998). À 22 ans, Korine y capte la sérénité d’un Macaulay Culkin qui, non content d’avoir raté l’avion, plane à mille (et au ralenti). Le rock mélodique du groupe underground permet au cinéaste de condenser ses obsessions : capter l’innocence perdue de l’enfance (une gamine sautillant en tutu sur fond de riffs grunge) et la dimension obscène des corps – en plein nirvana, le gourmand Culkin se lèche les babines. Avec ses faux airs de Thom Yorke super high, l’ex marmot-star d’Hollywood résume l’art selon Korine : un songe décalé, onirique, subversif à l’égard des icônes de l’usine à rêves. Mélancolique, surtout. Qu’il suive un gosse de l’Ohio déguisé en lapin galochant deux paumées dans une piscine (Gummo) ou un sosie de Michael Jackson errant dans les rues de Paris (Mister Lonely), Korine aime intégrer à ces fables zarbies les chansons nostalgiques d’antan, celles de Roy Orbinson et de Bobby Vinton. Pour mieux nous rappeler à coups de bluettes son amour sincère des vagabonds.
Le grand mix Korine, c’est un cocktail de poésie fucked up, de violence et d’ironie. Dans un clip de Cat Power (« Living Proof », 2006), il crucifie la chanteuse indie, vêtue de latex rouge, et la fait courir sur une piste aux côtés de joggeuses voilées, combinant religion et pop, jihab et lifestyle. Puis, soutenu par la créatrice de mode agnès b., il cale l’incontrôlable duo rap Die Antwoord sur des fauteuils roulants (« Unshimi Wan », 2012) et déploie une idylle où le shoot – dans tous les sens du terme – se fait sur fond de ballons d’anniv’ multicolores et de feuilles de marijuana luminescentes. Dans ses clips expérimentaux aux tonalités VHS, Korine secoue les stars comme des poupées désarticulées, du country-folk Bonnie Prince Billy (« No More Workhorse Blues », 2004) aux garagebluesmen The Black Keys (« Gold Ceiling », 2012). Artiste arty dans l’âme, il les plonge dans un univers lynchien et leur attribue des mouvements lancinants, proches du tempo des GIFs animés…ou de la respiration syncopée d’un vinyle rayé. On devine alors l’influence de son bon ami Chris Cunningham, clippeur attitré des trasheries d’Aphex Twin.
Cette sensation de chaos musical explose avec Spring Breakers. S’il illustre l’euphorie juvénile (drogues, sexe, alcool) au gré des secousses dubstep de Skrillex, c’est sur la déchéance largement peoplisée de Britney Spears que le cinéaste s’appuie en bousculant les Disney girls Selena Gomez et Vanessa Hudgens. Derrière leurs bikinis fluos, leur déprime et dérives morbides sont aussi celles de la reine de la pop, dont les paroles suggèrent la lente agonie de la jeunesse américaine (« my loneliness is killing me »). Repris par un James Franco gangsta-rappeur, le slow « Everytime » (2004) devient dès lors l’hymne d’ados embrassant la mort. Quand en 2016 Rihanna vient jouer à la femme fatale de nightclub devant l’objectif de Korine (« Needed Me ») l’esprit Spring Breakers n’est d’ailleurs pas loin : booty, dents en or et têtes de morts. Ce clinquant funèbre se prolonge dans « Florida Kilos », balade d’amour, de calibres et de drogues, écrite par Korine pour la diva Lana Del Rey (Ultraviolence, 2014).
On aime à penser que son cinéma est intensément électro – hypnotique, jamais achevé, fait de pulsations frénétiques, de plages et de boucles. Mais Korine, lui, préfère le flow de Gucci Mane – dont il réalise le clip « Last Time », en 2016. Cette « musique faite par des Noirs sur des ordinateurs » est, dit-il, « tout ce qui nous reste d’un peu excitant ». Sans surprise, c’est donc Snoop Dogg qui figure à l’affiche de The Beach Blum, son prochain long-métrage.
Harmony Korine, du 6 octobre 2017 au 5 novembre 2017 au Centre Pompidou, Forum 1, de 11h à 21h
Visuel : (c) Harmony Korine