L’héritage de Strip Tease dans la nouvelle comédie belge
Torpédo, le premier long-métrage du cinéaste belge Matthieu Donck, avec François Damiens en gros sur l’affiche, est en DVD.
« Torpédo », gnein ? Si l’on en croit le réalisateur « En Belgique, le terme Torpédo désigne un rétropédalage et c’est aussi le tout premier vélo pour beaucoup de Belges. C’est très culturel. » Mais restez tranquille, comme dit l’adage hazanavicieux « Attention ! ce flim n’est pas un flim sur le cyclimse ».
Non, c’est l’histoire de Michel Ressac (Damiens) une moule belge d’une quarantaine d’années bien accrochée à son rocher : le rien. Il attend que la merditude des choses lui arrive, le Michel. Et puis un jour, comme des milliers de Belges ce jour-là, Michel reçoit un coup de fil d’un fabricant de canapé qui lui annonce qu’il a gagné un repas avec Eddy Merckx, LE « cannibale » du cyclimse.
Ce coup de fil télémarketé, c’est ce mail spam d’une soi-disant princesse ivoirienne qui nous annonce qu’on a gagné des millions. Et Michel Ressac, c’est ce seul type, qu’on a tous quelque part, qui y croit dur comme fer. Persuadé d’avoir tiré le bon numéro.
Oui mais voilà, pour participer au concours, il doit avoir femme et enfant, parce que seules les familles peuvent jouer. Et donc Michel va s’inventer une femme et un gosse pour partir à la recherche d’Eddy Merckx entre la Belgique et la France.
« Encore une initiation familiale en forme de road movie avec ce qu’il faut de paysages défilants de bas-côté atrocement normaux et de looks salement 90’s » : ça c’est vous en train de vous plaindre. A quoi il faut répondre oui et non. Oui on tape dans le feel good movie cousu de fil blanc à la Little Miss Sunshine. Oui les ressorts pour faire avancer le schmilblick sont pas folichons (le coup de la panne). Mais non, pas que.
Torpédo s’inscrit surtout dans une longue lignée d’héritiers d’un programme télé culte des années nonante, Strip Tease. Et ces héritiers, comédiens/réalisateurs belges et français, ont créé un genre de comédie belge à part entière à partir de cet héritage. D’abord uniquement diffusée sur la RTBF, l’émission a très vite débarqué chez les cousins français, sur France 3.
L’idée de Strip Tease, et la raison de ce nom, effeuiller doucement un personnage, rester assez longtemps chez des gens plus vrais que nature pour qu’ils se révèlent : faire accoucher cette folie, qui sommeille en chacun de nous, dans une maïeutique d’air d’autoroute.
La caméra n’est d’abord que spectatrice. Et à mesure que la confiance s’installe, les conflits des sujets font surface, les couches s’en vont et la caméra comme le spectateur gagnent en empathie pour ces jolis fous.
Comme un syndrome de Stockholm, on se prend d’amour pour ces personnages malgré eux, eux qui font tout pour être des freaks.
Matthieu Donck, le réalisateur de Torpédo, ne cache pas cette influence : « C’est arrivé près de chez vous ou Toto le héros, c’est vraiment ça qui m’a donné envie de faire du cinéma. Après j’ai découvert StripTease à la télé. C’est dans la culture chez nous. En Belgique on met moins de couches, on a moins de masques. C’est ça qui a étonné tout le monde dans Strip Tease, les gens se montrent comme ils sont, ils ne cherchent pas à plaire, ni à paraître. Petit à petit les couches s’enlèvent. Au départ on se dit des personnages « quel con » ou « quel fou » et puis au fur et à mesure du film, on se met à l’aimer. Gustave Kervern et Benoît Delépine leur cinéma c’est la même chose. Les Coen, ils font rien d’autre que ça aussi. »
Ci-dessous, un extrait cultissime de Strip tease : L’ordinateur
Tout ce cinéma repose sur les épaules d’anti-héros parfaitement dessinés qui a eux seuls font avancer le récit. Les événements externes qui font progresser l’histoire sont eux souvent anecdotiques, mais poétiques, absurdes, drolatiques. Dans Les Convoyeurs Attendent de Benoît Mariage par exemple, l’évolution du personnage de Benoît Poelvoorde se cache dans sa volonté de faire gagner à son fils le record du monde d’ouverture de porte.
Les frères Coen c’est aussi ça. Des personnages trop beaux pour être faux qui évoluent par la grâce de petites choses. Exemple le Big Lebowsky où l’élément déclencheur n’est qu’un imbroglio d’homonyme.
Dans ce fond comme dans la forme, ce cinéma puise souvent, comme Strip Tease, dans la presse locale. On a ce côté portrait de la star du coin, des frites pas possible, des petits événements folkloriques, la foire à la saucisse, la rubrique insolite. Et niveau décor, forcément, ça doit puer le fait-divers.
De C’est arrivé prêt de chez vous en 92 à Torpédo en 2012, depuis 20 ans des gueules récurrentes distillent ce cinéma goût picon-bière.
Ci-dessous, Poelvoorde dans Les Convoyeurs attendent.
Dans ce pays complètement absurde où un « demi » fait un demi-litre de bière et pas un quart comme chez nous, il y a le réalisateur Benoît Mariage, ancien réal de Strip Tease, évidemment, et aussi prof de Matthieu Donck. Tiens donc.
Poelvoorde, Damiens, et Bouli Lanners, sont les ténors. En France, ils sont plusieurs à s’être amourachés de cette touche belge. Les Grolandais Delépine et Kervern ou Samuel Benchetrit (J’ai toujours rêvé d’être un gangster) sont passés maître dans l’art de mettre en scène des gueules sauce plat pays.
Le road movie pour ces récits initiatiques de loosers est un moyen certes déjà beaucoup trop vu, mais il faut le dire, plutôt efficace.Torpédo, El Dorado de Bouli Lanners, Mammuth ou Louise Michel des Grolandais, la route est le meilleur moyen d’illustrer ces échappées moches, de sublimer la normalité de ces personnages.
Un cinéma plus authentique que le so-called cinéma vérité français. Peut être parce que la vie est aussi poétique qu’un épisode de Strip Tease, mais bien loin des canons de la vérité à la française.
Allez on se refait un petit Strip Tease ? La Soucoupe et le Perroquet en vidéo ci-dessous, ou l’épisode le plus célèbre.