Quand des néo-nazis serbes s’allient avec des homosexuels… Aujourd’hui au cinéma
Hasard du calendrier, alors que plusieurs centaines de milliers de personnes ont paradé dimanche 13 janvier à Paris contre le mariage gay, La Parade, un film serbe sur et contre l’homophobie sort sur les écrans ce mercredi 16 janvier.
Le contraste est saisissant entre ces deux évènements concomitants. D’un côté, les droites cathos, conservatrices et extrêmes d’un pays (la France) habituellement sensible aux inégalités sociales et juridiques, s’unissent pour dénoncer l’homophilie législative du gouvernement actuel.
De l’autre, Srdjan Dragojevic, un réalisateur qui est né et travaille dans un pays notoirement homophobe, illustre à travers une comédie drolatique et engagée toutes les difficultés liées à l’organisation et à la pérennisation d’une Gay Pride en Serbie.
Le télescopage de ces deux évènements a le mérite de révéler des convergences en Europe autour de la question du traitement des homosexuels. La tendance lourde, en l’occurrence, est à la fracture : fractures entre conservateurs et progressistes, homosexuels et fascistes (traitée de manière un peu caricaturale dans le film), personnes qui ont « des amis homosexuels » et personnes qui exigent l’égalité universelle devant la loi…
Malgré certains travers, La Parade constitue un rempart efficace, amusant et puissant, contre la crispation populiste et homophobe d’une frange croissante de la population européenne. Forts de ce sentiment, nous avons souhaité rencontrer Monsieur Dragojevic : retour sur un film militant.
Le pitch : En voulant sauver son pitbull chéri et contenter sa fiancée capricieuse, Lemon, parrain des gangsters de Belgrade, se voit obligé d’assurer la sécurité de la première GayPride de Serbie. Pour l’aider dans cette mission impossible, il part à la recherche d’anciens mercenaires. Serbes, musulmans, bosniaques, albanais du Kosovo et combattants croates se retrouvent aux côtés des militants homosexuels. Comment cet équipage hétéroclite qui n’aurait jamais dû se rencontrer va-t-il arriver à transcender les frontières et leurs différences ?
La Parade est une comédie gay-friendly qui mêle activisme politique en faveur des homosexuels et de la réconciliation des peuples, et stéréotypes révélateurs des travers de la société serbe contemporaine. Elle a connu un franc succès dans toute l’ex-Yougoslavie, même si les partis politiques radicaux de Serbie l’ont largement conspuée, l’extrême droite craignant d’être diabolisée et l’extrême gauche de voir à l’inverse la xénophobie et l’homophobie de cette dernière dédiabolisées.
Une des raisons de ce succès tient manifestement à l’humour gras et savoureux du cliché : des gros durs néo-nazis qui cherchent à tout prix à casser du pédé se retrouvent à combattre d’autre néo-nazis avec l’aide de gays gentils et sensibles. C’est gros et c’est pour ça que ça marche. Srdjan Dragojevic ne s’en cache pas, il a mobilisé ces stéréotypes pour toucher un large public et tenter de faire évoluer les mentalités par delà les frontières. Une comédie, oui, mais avec un contenu et des visées politiques.
Réalisateur et psychologue de formation, Srdjan Dragojevic considère son film comme une expérience thérapeutique. A prendre l’homophobie au pied de la lettre, on ne saurait lui donner tort.
L’homophobie, ou pour être plus précis l’homosexophobie, est la peur de l’homosexuel, de celui qui aime son semblable. Pour mémoire, le néologisme “homophobie” date de 1971 et désigne au sens strict la crainte du semblable, même si dans le langage courant, on l’utilise pour désigner la crainte des homosexuels.
Avant de se muer en franche hostilité ou en aversion vindicative, l’homophobie est donc bien une peur : peur du désir de l’autre, peur que mon semblable me désire et me révèle à mon propre désir de lui, peur de découvrir la diversité latente des objets du désir. Mais laissons-là le divan… ou le comptoir, on ne sait plus vraiment.
Le fait est que l’aversion des homophobes confine au pathologique et exige, partant, une thérapie de choc. En fin clinicien, Srdjan Dragojevic a choisi le registre tragicomique pour éveiller les consciences.
Un film grand public, disions-nous. C’est que Srdjan Dragojevic n’est pas très adepte du snobisme bourgeois de la plupart des films d’auteur européens actuels. A ce titre, il entend faire des films pour les intellectuels libéraux comme pour la classe ouvrière. Il se considère d’ailleurs lui-même comme un cinéaste de la classe ouvrière et n’a pas peur de mobiliser de bons gros clichés pour faire rire.
Rien de tel pour servir ce dessein pédagogique que de faire un film qui s’adresse à tous, valable en tout temps et en tout lieu, un « film universel » en somme. A ce titre, La Parade a bel et bien réussi à s’émanciper de son cadre spatio-temporelle et de son inscription scénaristique dans la Serbie d’aujourd’hui.
Il n’y a pas que les personnages du film qui ont des conceptions caricaturales des homosexuels ; Nikola Kojo, l’acteur qui joue Limon (Citron), est lui aussi profondément homophobe à en croire son ami Srdjan Dragojevic. Il aurait même inspiré son personnage. Aussi, quand Nikola Kojo s’est retrouvé à la Gay Pride à Belgrade en 2010 au milieu d’activistes gays, il n’en menait pas large.
Et lors des premières projections du film à Berne, Bâle ou Zurich (Suisse), il était carrément terrifié à l’idée d’aller festoyer dans des clubs homos – ce qu’il a quand même été obligé de faire. Au final, il semble que ce stage intensif contre les préjugés homophobes ait porté ses fruits, puisque Nikola en est venu à apprécier la compagnie des homos. Comme quoi, en s’adressant directement à l’inconscient des acteurs et des spectateurs, les stéréotypes acquièrent bel et bien un pouvoir de dédramatisation et de négation des préjugés.
« Après tout, soulève Srdjan Dragojevic, Aristophane, Shakespeare et Molière n’ont-ils pas eux aussi fait des stéréotypes le fondement de leurs œuvres ? »