À l’occasion de la sortie de son film « Detroiters », le réalisateur Andreï Schtakleff nous livre sa bande son de la ville de Détroit (États-Unis).
Detroiters, film documentaire d’Andreï Schtakleff, est sur les écrans à partir de ce mercredi 4 mai. Une plongée dans les quartiers abandonnés d’une ville, celle de Detroit, qui fut pendant longtemps la rutilante capitale de l’industrie automobile et s’est déclarée en faillite en 2013.
Cette ville, qui attira comme un aimant les travailleurs noirs du sud post-esclavagiste, mais toujours ségrégationniste dans la première moitié du siècle dernier, est aussi la ville où s’est créée la célèbre compagnie discographique Motown, celle où a grandi le rappeur Eminem et où s’est développée la musique techno.
Detroit, ville fascinante dont les habitants rencontrés dans ce film, anciens ouvriers, ex-militants pour les droits civiques, pasteur, choristes, jeune activiste anti-spéculation immobilière ou cheffe de projet urbain inclusif, témoignent avec la sincérité émouvante de résidents attachés à leur cité et en action pour lui donner une nouvelle vie hors gentrification.
Andrei Schtakleff est né en 1979 à Paris. En 2008, il sort son premier film, L’Exil et le Royaume, sélectionné la même année à la Mostra de Venise. Son deuxième film, La Montagne magique, remporte deux prix au Festival International du Cinéma de Marseille (FID) en 2015.
Andrei Schtakleff, grand amateur de musiques de tous genres, nous a sélectionné ces morceaux, une bande-son imaginaire de Detroit, à écouter avant ou après avoir vu son magnifique film Detroiters.
« Boogie Chillen », John Lee Hooker, 1948
Tout simplement parce que ce morceau raconte une immense histoire, celle d’un gars du Sud qui fuit la misère post-abolition et débarque à Detroit. Le jour, il travaille à l’usine, la nuit, il découvre les légendaires clubs du ghetto noir de Black Bottom. C’est le premier enregistrement de John Lee Hooker, l’une des nombreuses légendes musicales à avoir débuté à Detroit. Dix ans plus tard, le quartier sera rasé pour faire passer une autoroute.
« Nowhere to Run », Martha and the Vandellas, 1965
« La musique à Detroit, c’est les usines et les églises qui ont un bébé : la Motown ». Un personnage du film le dit comme ça. Alors, profitons de cette visite hallucinante des usines de l’époque, où des bouts de voitures volent de partout.
« Respect », Aretha Franklin, 1967
La reine de Detroit. Impossible de sortir une unique chanson d’Aretha Franklin. Alors ce sera celle-là, parce qu’elle a touché tellement de gens et aidé tant de causes à s’exprimer. Elle est décédée pendant la préparation du film et son enterrement a été un immense événement populaire. Dans tous les lieux importants de la communauté afro-américaine, les gens se regroupaient, habillés de leurs plus beaux habits. C’était sublime.
« Motor City is Burning”, MC5, 1969
Obligé ! Et avec une reprise de John Lee Hooker pour tisser l’histoire musicale de la ville. La fureur des émeutes raciales de 1967, enregistrée en live dans le légendaire Grande Ballroom. L’occasion de célébrer leur génial mentor et manager, John Sinclair, cofondateur du White Panther Party, pour que les blancs s’organisent aussi contre les suprémacistes.
« Dirt », Stooges, 1970
Du pur Iggy Pop qui représente totalement Detroit… Un truc hyper sensuel, provocateur, toujours au bord de l’explosion. Tellement attirant. Au tout début, le film s’appelait Dirt, parce que Detroit est aussi une ville hyper charnelle et géniale.
« What’s going on », Marvin Gaye, 1971
Parce que Marvin Gaye a dû faire grève pour enregistrer cette chanson, parce qu’il l’a enregistré littéralement dans la maison à côté de la nôtre. Mais surtout pour ce qu’elle raconte, la chaleur et la fragilité d’une communauté dans un monde qui vrille. Il annonce toutes les ruines à venir à Detroit. La fête est finie. Et l’année suivante, la Motown fuit Detroit pour Los Angeles.
« Maggot Brain », Funkadelic, 1971
George Clinton a eu un rapport compliqué à la ville. Venu travailler pour la Motown, il est reparti en se disant trop Noir pour les Blancs et trop Blanc pour les Noirs. Mais aujourd’hui encore, on voit la marque profonde qu’il a laissée dans l’imaginaire de la ville. De Electrifying Mojo à la Techno ou Onyx Ashanti aujourd’hui.
Et puis il y a la folie de la guitare d’Eddie Hazel et Joyce, une des chanteuses du film, a débuté avec lui. Pour tout ça et pour Tristan Pontecaille, qui a fait tout le son du film, il la fallait !
« The Final Frontier », Underground Resistance, 1992
De la musique dure pour une ville dure. Mais, comme toujours avec Detroit, en faisant danser le monde entier. Et puis la « Frontière », c’est le mythe de l’Ouest sans cesse repoussé au rythme de l’extermination des Indiens. Peut-être que c’est aussi l’histoire de l’Underground Railroad, le réseau clandestin qui aidait les esclaves à fuir vers le Canada. Detroit était la dernière station, la porte de sortie vers la liberté. « The Final Frontier ».
“Lose yourself”, Eminem, 2002
Lui aussi est incontournable à Detroit. Tellement de personnes ont une anecdote avec lui. Tellement que certains disent même être son chiropracteur. Surtout, c’est l’occasion de dire qu’il est un superbe acteur dans 8 miles, un des meilleurs films sur Detroit.
“Det.Riot”, Moodyman, 2008
Detroit s’est embrasé en 1967. Partout aux USA, on dit « l’émeute raciale de 1967 ». La troisième à Detroit après celles de 1863 et 1943. Mais dans la ville, tout le monde dit « La Grande Rébellion », avec une certaine fierté. Moodyman la raconte avec cette sensualité particulière à la ville. Avec Marie Loustalot, la monteuse du film, on a essayé de mettre l’intro de ce disque dans le film. C’était sur une manifestation et ça donnait un sens terrible aux images. Finalement, on ne l’a pas gardé, mais il nous a longtemps accompagnés et c’était génial de commencer les journées de montage avec lui !
“Backin’ It Up”, Pardison Fontaine et Cardi B, 2018
Quand tu tournes un documentaire, tu te fais envahir par le monde. C’est génial et déroutant, ça te sort de ta vision et de tes idées. J’ai l’impression qu’à chacun de mes tournages, une musique s’impose dans la vie, puis dans le film. À Calais, ça avait été le Hard-Jump que tout d’un coup tout le monde avait dansé pendant un été. En Bolivie aussi, il y avait eu une ballade phénoménale qui passait partout. Durant l’hiver du tournage à Detroit, c’était celle-là. Elle était partout dans la ville, que tu allumes la radio ou qu’une voiture passe, il n’y avait qu’elle. Et maintenant, elle est cachée dans le film.
C’était une sélection de musiques dédiée à la ville de Detroit, commentée par le cinéaste Andreï Schtakleff. Rendez-vous dimanche 8 mai dans Néo Géo Nova pour l’entretien autour de son film documentaire Detroiters.