Interview de George Pelecanos, scénariste et romancier américain
George Pelecanos est un écrivain et scénariste américain. D’origine modeste, il est fils d’immigrés grecs. Depuis bientôt 20 ans, il écrit des polars sur et à Washington, sa ville natale. Récemment conquis par l’atmosphère de la Nouvelle-Orléans, il a également élargi son champ de compétences en travaillant aux scénarii de The Wire, Treme et The Pacific, 3 séries phares et ultra réalistes de la chaîne américaine HBO. Retour sur un personnage fascinant, héraut moderne du réalisme noir et parangon sans égal de la critique sociale.
NB. Cette itw fera l’objet d’une publication en 5 parties, à raison d’un extrait par semaine. Ceci est la 4e partie.
Chaque extrait est accompagné d’une playlist musicale : honneur au reggae cette semaine !
Le premier livre que j’ai lu de vous était King Suckerman. Selon une rumeur P. Diddy se serait inspiré du livre pour faire un film…
Je l’ai écrit après The Big Blowdown. Je voulais adopter un ton différent dans cette suite (le livre s’inscrit dans une quadrilogie, le DC Quartet, qui compte The Big Blowdown, King Suckerman, The Sweet Forever et Shame the Devil). Il y a une transformation culturelle radicale entre 1946 et 1976. Dans The Big Blowdown, Peter Karras ne sortait jamais de chez lui sans un une cravate et un pardessus. 30 ans plus tard, dans King Suckerman, le fils de Peter a les cheveux longs, des jeans troués et il fume de l’herbe dans la rue. Comment ça a pu arriver ?
En 1976 j’avais 19 ans. Je me souviens très bien de cette époque : la musique, les voitures, les habits, la manière dont les gens parlaient. Ca a finalement été assez facile d’écrire ce livre ; et je pensais que ça ferait un bon film. J’ai donc écrit le scénario. Mais finalement,personne n’a réalisé le film.
Vous savez ça se passe souvent comme ça à Hollywood. On fait écrire le scénario, on cherche des acteurs ou des réalisateurs en particulier ; et si l’acteur ou le réalisateur refuse, le film est abandonné. J’ai eu la même expérience avec Right as Rain. Quand le héros d’un film est noir, les studios sont très frileux. Il n’y a que 3 ou 4 acteurs “bankable” et exportable à l’étranger pour jouer le premier rôle : Denzel Washington, Will Smith, Jamie Foxx… S’ils refusent le rôle, le projet tombe à l’eau.
Pour le coup, le héros du livre n’avait pas à être incarné par une star de cinéma ; c’est un quidam, un homme moyen. Il aurait dû être joué par un figurant, mais les studios n’étaient pas de cet avis. Le projet a donc avorté.
« The sweet forever, the sweet forever… »
Que pensez-vous de The Sweet Forever ?
C’est le livre que David Simon a lu avant de m’appeler pour The Wire. C’est donc le livre qui a changé ma vie. Le titre m’est venu un jour quand j’étais dans une église noire à Washington, ils passaient une chanson de gospel qui répétait « The sweet forever, the sweet forever… » J’ai trouvé que ça ferait un beau titre de livre. Cela dit, le titre n’a rien à voir avec le contenu du livre, très sombre.
Ca se passe dans les années 80, les années crack…
Oui, ça se passe entre 1986 et 1989. Le crack a débarqué à Washington vers 1986. Il a tout changé, la nature du crime, de la violence… Beaucoup de gens pensaient à l ‘époque que c’était bénin. Mais en 1989, il y avait presque 500 meurtres par an liés au trafic de drogues. Fondamentalement, les victimes étaient noires. Dans deux tiers des cas, ces affaires n’étaient jamais résolues. La vie devenait un cauchemar pour plein de monde.
Vous avez vraiment été vendeur de chaussures pour femme ?
Absolument ! Ca fait partie des jobs que j’ai expérimenté. C’était la boutique la plus luxuese de la ville. Je devais faire bonne figure, parler avec les clientes toute la journée. Je croisais toutes sortes de femmes : des avocates, des secrétaires, des prostituées…
Vous pouvez deviner la pointure d’une femme à vue d’œil ?
Je suis assez doué pour ça, oui. Après ses yeux, c’est la première chose que je regarde chez une femme.
Ca vous a inspiré Shoe Dog ?
Oui ça vient de là. Je voulais écrire un roman pop. C’est le premier que j’ai écrit à la troisième personne. Je voulais parler de cette expérience de vendeur de chaussure, mais c’est aussi mon livre de voiture. J’adore quand dans les films, le héros va chercher sa caisse dans un garage. Je l’ai écrit très rapidement, en moins de 3 mois, en travaillant 7 jours sur 7.
Retour sur The Cut, bizarrement vous n’indiquez aucun morceau hip hop ou gogo dans la playlist à la fin du livre. Pourquoi ?
Pour moi, Spero n’écoute pas ce genre de musique. Il fume des joints… je le vois plus comme un amateur de reggae.
C’est une fête géante cette ville ; elle ne ressemble à aucune autre
Vous écoutez quoi comme musique, à ce propos ?
J’aime plein de styles différents. A la Nouvelle-Orléans, je sortais tous les soirs pour écouter de la musique. C’est une fête géante cette ville ; elle ne ressemble à aucune autre.
Dans votre jeunesse, vous étiez fan de gogo music et de rock’n’roll comme Nick Stefanos ?
A Washington, un mélange intéressant s’est opéré quand j’étais jeune entre la musique punk et la musique gogo. L’idée était que des gosses blancs et noirs puissent sortir ensemble. Belle tentative mais ça n’a pas vraiment marché. Personnellement, j’allais régulièrement à des soirées de Fugazi ou de Rare Essence.
Vous écoutez quoi en ce moment ?
Pour la faire courte, je vais vous dire ce que j’ai écouté hier soir : Jeff Buckley, The XX, Beck, Galactic, Radiohead et Anthony Wellington que j’affectionne beaucoup en ce moment.
Qui est vraiment Nick Stefanos ?
C’est moi. Au début, je savais pas vraiment comment écrire, quel style, quel point de vue narratif adopter. J’ai commencé par écrire à la première personne et ça m’a libéré. Cette manière d’écrire a vraiment joué un rôle de béquille pour moi, ça m’a permis d’évoluer et d’écrire ensuite sur autre chose que moi.