Oubliez, Avatar, la vraie saga cinéma du moment (re)vient de Pologne.
Il n’aura échappé à personne qu’aujourd’hui sort Avatar, la voie de l’eau dont vous entendrez forcément parler jusqu’à plus soif. Pour autant, malgré cette surexposition médiatique, il existe d’autres sources de cinéma auxquelles s’abreuver. Pendant que les foules ne manqueront pas d’aller s’immerger dans les nouvelles aventures des Navi, ces aliens bleutés, une autre saga, plus extraterrestre encore est sur les écrans. Pas besoin de lunettes 3D pour accéder au relief mental de La poupée, saga baroque d’un homme d’affaire fou d’amour pour une aristocrate déchue dans la Pologne de la fin du XIXe siècle. Aux commandes Wojciech Has, réalisateur autant fan de récits balzaciens que de structures feuilletonnesques. A la fois contemporain d’un Fellini, et précurseur d’un Kusturica, Has faisait tonner en 1968 un cinéma ogresque, baroque dans la forme, cinglant dans le fond, pour raconter une Pologne entre décadence, restes de pratique féodales et appât du gain.
Une Poupée qui est donc loin d’être de cire.
D’autant plus quand La poupée associe flamboyance et vision d’une société rance, où les barreaux de l’échelle sociale sont vermoulus, empêchant de pleinement grimper quand on vient d’une extraction populaire, mais aussi de totalement tomber dans la déchéance quand on est issu de la bourgeoisie. Has parvient au tour de force, d’un film formellement des plus vivant pour exprimer un monde moribond mais enluminé par une mise en scène folle, confrontant visions oniriques et relations tenant de la nature morte. A la splendeur des images se superpose la misère morale : ici une cour des miracles à la Dickens peut côtoyer le velours mélancolique d’un Visconti , le tout sous un regard acerbe, rappelant celui du Welles de Citizen Kane.
A l’époque de sa sortie, La poupée cachait dans ses replis une cinglante lecture sociopolitique d’une Pologne en pleine désillusions d’utopies post-stalinisme. Cinquante-quatre ans plus tard, il n’est pas défendu de voir dans cette chronique où les dorures des beaux salons sont rongés par la fange d’une bourgeoisie cireuse, celle d’une Europe plus que jamais calcifiée dans un rapport de force entre classes sociales. La poupée entérinant sa puissance de manifeste aussi fièvreux que poignant quand les années n’ont pas entamé sa volonté de rompre avec cet immobilisme.