Entretien avec Hamé sur la carrière du groupe le plus intègre de l’histoire du hip-hop français. Presque trop.
Ce serait vraiment un poncif de dire que La Rumeur est un groupe à part dans le paysage musical français. De ce que j’en sais, c’est tout simplement le seul groupe rap français a être resté intègre, fidèle à ses principes et underground, en une vingtaine d’années d’existence (et qui continue à exister).
En gros – et même si je n’aime pas être grossier, La Rumeur, c’est peut-être le seul groupe rap français à ne jamais avoir vendu son cul. Pour quoi que ce soit. A qui que ce soit. Quitte à en devenir ingérable de paranoïa, l’épouvantail des maisons de disques, voire des médias, et pire ennemi du Ministère de l’Intérieur.
La Résistance, ça a son prix. Le groupe en sait quelque chose.
A quelques jours d’une date à L’Olympia (jeudi 8 novembre) qui sonne comme une revanche sur tout l’establishment (médias, politiques, rapeurs, directeurs artistiques, journalistes, flics, bouchers-tripiers, professeurs, agents SNCF, garde-forestiers…), Hamé est passé dans nos locaux pour revenir sur une carrière dont il sait qu’il n’aura jamais à rougir.
La Rumeur se forme exactement comme son nom l’indique. A partir de petits riens qui, assemblés, donnent un quelque chose puissant, entêtant, insaisissable. Début des années 90, Mohamed Bourokba pour l’état civil quitte son Perpignan pour Paris. « J’étais partout, à tous les concerts, toutes les scènes, toutes les manifestations. Je voulais tout grailler ». Partout où il se rend, Hamé croise ce jeune mec qui semble vivre exactement comme lui. Mêmes goûts, mêmes lieux, mêmes idées. Hamé et Ekoué se rapprochent. La Rumeur est née, sans même dire son nom.
Skyrock ? Une énorme partouze !
Le groupe se forme et sa ligne de conduite existe déjà, comme inscrite dans le patrimoine génétique, dans l’inconscient des deux jeunes MC’s : ne rien vendre, ne rien lâcher. Ekoué, qui est apparu sur un projet d’Assassin, est approché pour un projet solo par un label. Pas moyen. « Lorsque des labels venaient nous voir, l’accueil était plutôt froid… ». C’est rien de le dire ! « En fait, ils nous prenaient tous pour des oufs ! ». Finalement, de leur point de vue, c’est simple : l’écriture, leur « art de pauvre », c’est tout ce qu’ils ont de plus précieux.
La Rumeur voit bien le manège rap que Skyrock dirige d’une main de fer, avec Laurent Bouneau pour chef d’orchestre. « N’importe qui qui entrait dans la playlist Skyrock finissait disque d’or. Tout le monde se ruait dans leurs bureaux, ça partait complètement en vrille ! Bouneau, c’était le roi du monde, tout le monde se mettait carpette devant lui. Nous on voyait tout ça, à ce moment-là on entrait en major, on a encore plus verrouillé la boutique ».
Entre la coupe du Monde 98 et 2001, c’est « l’âge d’or du rap »(comprendre le contraire). « Une énorme partouze ». La Rumeur tient toute l’industrie du rap, comme un seul homme, pour responsable. C’est le seul groupe qui refuse de passer sur Skyrock, « tellement puissante qu’elle peut se permettre de faire refaire un album à un artiste s’il ne lui plaît pas, comme ça a été le cas pour Diam’s. Skyrock, c’était le directeur artistique du rap français ». Les relations avec la radio sont mauvaises, c’est rien de le dire, et c’est d’ailleurs cette même radio qui filera au syndicat Alliance ce fameux papier qui fera entrer Hamé dans son incroyable combat judiciaire cotre le Ministère de L’Intérieur.
8 ans de procédure jusqu’à la cour de Cassation ! Un acharnement sans précédent, une victoire à chaque étape des procédures.
On a besoin d’être attaqués pour être créatifs
Bref… De son QG, La Rumeur voit des rappeurs portés aux nues avant d’être renvoyés dans leur quartier, et Skyrock exercer – aux limites de la légalité – son droit de vie ou de mort sur l’industrie musicale. Très peu pour eux. Ils marchent en solo, évitant au maximum les intermédiaires : pas de managers, pas de tourneurs, contrats les moins contraignants possibles. Ils veulent tout gérer, sont eux-mêmes en contact avec les organisateurs de concerts et ne laissent pas leur maison de disque passer un cheveu ni dans leur studio, ni dans quoi que ce soit qui concerne leur musique, de l’artwork de leurs pochettes aux CD démos qu’ils refusent d’envoyer en avance aux FNAC ou radios. Et gare aux petits malins.
A chaque lutte ses sacrifices. Des chèques, ils en ont vu passer. Mais ils savaient aussi que ce même bout de papier les mènerait à leur fin. Et si La Rumeur fait de la musique, ça n’est pas pour l’argent, ni pour la gloire : c’est parce que c’est en eux, comme profondément inscrit dans leur patrimoine génétique. Ils se tiennent à ce qu’ils jugent bon pour eux : une vingtaine d’années plus tard et un Olympia qui s’annonce comme une consécration semble leur donner raison.
Car elle est longue la liste des anciennes gloires du hip hop à être revenues à leur quotidien, loin de l’argent rapide et des acoquinances politico-jet-set, entre le grand écart d’un Doc Gynéco qui a du donner son âme au gouvernement Sarkozy pour une sombre histoire de Fisc à un Joey Starr qui se met en scène dans des rôles qui filent le cafard pour le cinéma français.
Hamé ne leur en tient pas vraiment rigueur, mais regrette plutôt qu’il « n’existe pas aujourd’hui de structure pérenne créée de l’émergence de cette scène hip hop ». Rien, pas une association, label, magazine ou quoi que ce soit qui n’ait survécu à ce raz-de-marée initié par les B-Boys et autres zoulous du début des années 90.
Dans ce marasme, La Rumeur a toujours assuré ses arrières. Une boite de prod qui leur permet d’assurer ses tournées en indé, de produire ses albums (le dernier, « Tout Brûle Déjà », du pur La Rumeur, se vend très bien merci), et même d’envisager d’élargir ses activités à la production audiovisuelle, du documentaire à la fiction en passant, éventuellement, par la création d’un nouveau média. Indé style.
Oui, La Rumeur a du plomb dans la cervelle, et pas celui que les MC’s de droite vantent chaque jour auprès des jeunes dans leurs textes, non. Hamé et Ekoué sont deux « têtes », universitaires diplômés, l’un de la prestigieuse école de cinéma de New York par laquelle sont passés Scorcese, Spike Lee ou autre Jarmush, l’autre de l’Institut d’Etudes Politiques de Paris. Si « le savoir est une arme », La Rumeur a l’une des plus belles armées de l’Hexagone.
En fait, tout le monde nous prenait pour des fous. On l’était, un peu
Une carrière en ligne droite dédiée à leur cause, sans aucun écart de conduite, et aucun pas vers le mauvais côté ? A part une réputation d’être de sacrés relous en affaires, il semblerait bien que La Rumeur ait réussi ce pari aucun nul autre qu’eux mêmes aurait pu imaginer à l’époque. Après L’Olympia, Hamé voudrait souffler un peu. Parce que des années à être au four et au moulin, à écrire, produire, gérer, défendre, le tout sur fond d’acharnement politique, ça use.
L’Olympia, « la salle avec la meilleure acoustique que nous connaissions », les attend pour un gala qui couronnera, avec leur public, cette belle histoire d’un groupe trop intelligent pour le rap business ; du seul groupe à être resté underground, régulier, sensé et productif dans l’histoire du rap français. Une référence inégalée en la matière.
Une grande fête, et l’esprit déjà tourné vers le futur? Hamé, qui a déjà co-réalisé avec Ekoué le long métrage « De L’Encre » et dont le court, « Ce chemin Devant Moi » a fait l’unanimité au festival de Cannes l’année dernière, planche déjà sur un autre long-métrage, toujours avec son éternel associé Ekoué, produit par… La Rumeur, évidemment.
Qui en douterait serait hors-sujet.
Crédit Photo : Thibaut de Corday / Nova