La chronique de Jean Rouzaud.
Les éditions Quanto sortent la traduction du livre enquête de Michael Pollan, journaliste scientifique et prof à Berkeley en Californie, Voyage aux confin de l’esprit, 440 pages sur l’histoire du LSD 25, hallucinogène psychédélique…
Une drogue à rentabiliser ?
Une histoire sans fin depuis la découverte inattendue des effets de l’ergot de seigle, synthétisé par Albert Hofmann, pour les laboratoires Sandoz en Suisse en 1938.
La 25e molécule, baptisée « diéthylamide de l’acide lysergique » resta au placard jusqu’en 1943, date à laquelle Hofmann décida de le tester lui-même ! Malgré les 0,25 microgrammes ingérés (minidose), le savant crut devenir fou, puis finit par adhérer à la puissance et aux effets inédits de la molécule magique…
Mais depuis cette date, le monde des chimistes a cherché par tous les moyens à rentabiliser cette drogue, à en faire quelque chose à tout prix, ou plutôt pour en tirer bénéfice. Seulement voilà, les effets étaient incontrôlables et souvent négatifs, conduisant à une sorte de psychose !
Lavage de cerveau, Magic bus, religion nouvelle…
L’armée allemande avait tenté des essais comme sérum de vérité ou lavage de cerveau qui furent repris dans les années 50 aux US. Cette satanée drogue devait avoir un usage, vu sa puissance ! Les résultats militaires furent pitoyables, et les soldats testés à leur insu, restaient prostrés, sur le carreau…
Ce gros livre raconte tout, comment Ken Kesey, ou Timothy Leary, tentèrent de s’en emparer : le premier avec ses « merry pranksters » et son « magic bus » pour une tournée psychédélique, le second pour une nouvelle religion « Turn on, Tune in, Drop out » (branchez-vous, accordez-vous, lâchez tout), pratiquée à Palo Alto.
Et toute une génération partit en vrille, car le LSD nettoie le cerveau comme de la Javel, avec, selon les doses, des effets plus ou moins dévastateurs… La polémique fut immense en Amérique et aboutit à l’interdiction en 1967 (malgré ou à cause du « Flower Power »).
Certains restèrent scotchés à une idée positive et révolutionnaire du produit, des psychiatres étaient persuadés d’être à l’aube de découvertes révolutionnaires.
Des dizaines de thérapeutes, psychiatres, pharmacologues, techniciens (sans compter les milliers d’artistes et amateurs de tout bord), continuaient frénétiquement de chercher un dosage, un usage, une voie, une solution positive à ce LSD, devenu embarrassant et déconseillé aux amateurs…)
Et c’est là le meilleur de cette folle épopée : les avis contraires, les dérives et les associations, à cause de grands auteurs consommateurs comme Aldous Huxley ou Henri Michaux, mais aussi des listes de chercheurs mystiques (tous dans CE livre) et la correspondance avec les champignons hallucinogènes du Mexique, contenant de la psilocybine, ou les boutons de Peyotl, contenant aussi des alcaloïdes aux effets semblables…
Bref, il y avait des champignons hallucinogènes partout ( à Bali comme en France), et bien d’autres alliés psychédéliques dans des fleurs, des écorces et autres éléments naturels… Et toutes sortes d’expériences se déroulent, depuis des décennies, plus ou moins discrètes.
Aujourd’hui on cherche encore à rentabiliser le LSD, notamment avec de micro doses pour drogués, alcooliques et dépressifs divers, car le choc psychologique et physiologique pourrait servir d’électrochoc, les tests s’avérant « positifs » dans 50 % des cas.
Incontrôlable, dangereux… étonnant
L’engouement pour ce LSD, incontrôlable et dangereux, reste étonnant. Il a fallu un désir immense de tout raser, par des générations Kamikaze, dégoutées par un système de société, pour en arriver à ingérer cette bombe atomique du cerveau ! (qui agit sur nos neurotransmetteurs et nos synapses, créant des court-circuits !)
Ce livre-fleuve analyse aussi les théories, et interminables réflexions et expériences autour du LSD : un labyrinthe qui devait nous mener aux « portes de la perception » (titre du livre d’Aldous Huxley), ou vers un « misérable miracle » (titre du livre d’Henri Michaux)… ?
Voyage aux confins de l’esprit. Par Michael Pollan. Éditions Quanto. 440 pages. 24,50 euros. Lire aussi Underground, l’histoire, éditions Actuel (avec Denoel) par Jean-François Bizot (250 pages dont 80 pages de MES collages explicatifs !!!)
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