Aelita, Reine de Mars.
Avec l’exceptionnelle réédition en DVD de films russes des années 20, on réalise mieux la force de l’esthétique russe révolutionnaire, suite à la révolution et au développement des arts et des techniques.
Aelita est un grand film de près de 2 heures : Mars est un reflet de la terre, avec ses intrigues, ses dirigeants et l’exploitation des ouvriers, oeuvrant sous terre. On pense au Metropolis de Fritz Lang, version galactique.
Mais là, à part l’intrigue anticapitaliste sur Terre, on assiste à un super opéra spatial dans la cité futuriste sur Mars. Grand décor cubiste, mais aussi constructiviste et même suprématie dans ses trouvailles aériennes.
La princesse est ultra-moderne avec une coupe carré « garçonne », mais aussi des antennes, des robes dénudées et un décor de palais zébré de câbles transparents. Tout l’univers martien est de ce niveau.
Des escaliers géants, des murs obliques, des points de fuite en profondeur. Tout est moderniste, tranché, des cadrages de tableaux modernes.
Les admirables costumes partent de l’Antique pour finir en géométrie avec des visières en Rhodoïde transparents, des éléments géométriques recouvrent les notables ou les gardes (on pense à Star Wars pour leurs armures).
Un opéra, soigné comme au ballet du Bolshoi, des personnages expressionnistes sur fond de ce qui nous semblent des actualités : la vie à Moscou, les trains, les gares, les usines… et soudain Mars ! Un palais géant dépouillé, comme une maquette de Casimir Malevitch, inventeur de l’abstrait géométrique russe.
Certains casques rappellent des motifs de Vassily Kandinsky et le travail exécuté au Bauhaus allemand, avec d’élégants formes qui se superposent dans l’espace. C’est un univers mental, moderniste et aérien, comme un rêve de Space Opéra qui aurait choisi l’Art révolutionnaire de l’époque.
Et bien sûr, la révolution gagne Mars et ses esclaves : des foules subitement éclairées grouillent, et les grands sentiments propagandistes magnifient la révolte, le mouvement et le côté grandiose.
L’équipe de ce film a su transposer l’Art Moderne directement dans un film à grand spectacle. Le réalisateur Protazanov s’appuyait sur des textes classiques (Tolstoi, Maupassant…) pour une intrigue solide, puis les studios Mejrabpom mettaient le paquet ! Et ça se voit.
La costumière Alexandra Exter a fait des merveilles et depuis, bien des stylistes ont l’air de descendre de ce film très mode années 20 : Mugler, Paco Rabanne…
Il y un choc esthétique (et de conception), à voir ces idées vieilles d’un siècle, encore si efficaces et porteuses d’une imagination qui ne se démode pas !
« Le beau est toujours bizarre », a dit Baudelaire.
Le mouvement Punk, puis la New Wave, ont utilisé cette même esthétique graphique et géométrique sur des pochettes de disques et des groupes comme Kraftwerk, Klaus Nomi, mais aussi le collectif Bazooka, ou encore des recherches de mode au Cours Berçot de Paris, et dans des défilés avant-garde des années 80.
LOBSTER film présente 4 DVD Russes (avec le soutien du CNC) :
– Aelita, reine de Mars de Yakov Protazanov (1924)*
– Octobre, de Sergei Eisenstein (1927). L’immense classique de la révolution.
– Arsenal, d’Alexandre Dovjenko (1929). La révolte d’Ukraine de 1918.
– Trois dans un sous -sol, d’Abram Room (1927) L’évolution de la société russe confrontée au logement et à la promiscuité. Savoir-vivre post révolutionnaire !
Visuels : (c) DR