À l’ombre des entrepôts Amazon de non-droit et des carrés d’or estampillés d’un four-letters-word, un maillage de passionné.e.s tient le choc, portant à bout de bras des enseignes et des pavillons divers, mais surtout de hautes piles de bouquins promus, défendus, discutés, conseillés auprès des intelligences curieuses, détachées des calculs algorithmiques comme des têtes de gondoles trop gondolées.
Pour que ces librairies de proximité, qui savent crocheter bien des verrous de nos esprits, résistent à cette époque de confinements et de gestes-barrière, la Radio Nova et Nova Bordeaux se font leur modeste porte-voix ; une voix au chapitre, pour que continue à voguer la glorieuse armada des bateaux-livres, libres et indépendants. Parmi cette flottille, La Machine à Lire n’est pas le moindre des vaisseaux en présence dans le quart sud-ouest.
Mise à flot à l’automne 1979 par Henri Martin et Danielle Depierre, rachetée en 2008 par Hélène de Ligneris, La Machine à Lire cingle dans l’hypercentre de Bordeaux, place du Parlement, où cette mécanique libraire des plus érudites, aux rouages impeccablement huilés, a ses attaches depuis le mitan des années 90.
Quarante-et-un ans d’existence, c’est moins que le mandat de Chaban-Delmas certes, mais c’est un âge très digne d’éloges pour cette librairie qui s’est toujours attachée à défendre un éclectisme aussi savant que bienveillant, avec des rayonnages en sciences sociales (anthropologie, écologie, philosophie, histoire, etc.), en revues et en littératures mondiales qui feront plus d’un.e heureux.se. Sans oublier les polars, les BD, les ouvrages jeunesse, ceux des Beaux-Arts, et les quelques trouvailles blotties à La Machine à Musique Lignerolles, sa succursale toute proche.
Aussi est-ce toujours avec intérêt que nous accueillons leurs coups de coeur maison ; en voilà trois pour jouer expertement du marque-page en cette fin d’année :
- Les Nuits d’Été, de Thomas Flahaut (Éditions de l’Olivier, 2020)
Deuxième roman de ce jeune écrivain doubiste, membre du collectif franco-suisse Hétérotrophes, Les Nuits d’Été radiographie le désarroi de la classe ouvrière, broyée et recrachée par le « monde du travail », qu’il s’appelle Usine ou Open-Space (et c’est d’autant plus vrai à Montbéliard, berceau des cols bleus de la Peuge). Un propos qui remue aussi cette interrogation méta, permanente chez l’auteur : « comment, dit-il, penser mon héritage ouvrier en écrivant ? Comment être écrivain sans renier l’usine du père, sans jamais non plus m’abriter sous une forme de mythe ouvrier ? Je ne veux pas répondre à cette question. Elle doit rester irrésolue. Elle est le socle instable sur lequel je m’appuie pour écrire. »
La Machine à Lire : « Elles sont âpres et poétiques, ces »nuits d’été » … Ce sont celles de Thomas, Louise et Mehdi, fille et fils d’ouvriers, qui tentent d’échapper à leurs origines et de trouver leur place dans notre monde où l’usine n’a plus la sienne. Poignant ! »
- Permafrost, d’Eva Baltasar (éd. Verdier Otra Memoria, 2020)
Le permafrost, ça s’écoute, chez Magazine. Ça fond et ça se craquelle, en Russie. Ça se lit, également. Premier roman de cette écrivaine catalane davantage tournée jusque là vers les recueils de poésie, Permafrost est un monologue avançant sur un fil, un fil entortillé entre les tentations, celles des petites et des grandes morts, celles aussi des renoncements contre lesquels il faut faire front, tête de bois, tête de fer, pour ne pas finir dans l’enfer des éternels retours impossibles.
La Machine à Lire : « Interrogation politique sur les moeurs de notre temps autant qu’ode immédiatement hédoniste, Permafrost, dont les accents rappellent ceux d’un Mathieu Riboulet, offre un véritable plaisir de lecture. »
- Entre Fauves, de Colin Niel (éd. Rouergue, 2020)
L’hiver approche, il est temps de prendre votre polar. Et pas n’importe lequel, de préférence un qui sait poser et proposer une griffe singulière. Entre Fauves est de ceux-là. Un roman noir choral, où s’expriment, par-delà les continents, les voix humaines mais aussi animales – normal, me direz-vous, quand son auteur se nomme Colin …
De la vallée d’Aspe au désert de Kaokoland, des Pyrénées à la Namibie, ce thriller dessine une intrigue où les proies et les ombres tendent à se confondre ; les chasseur.se.s de bêtes et les chasseur.se.s de têtes qui font leurs quatre cents coups angoissants, sans aucune fleur au fusil. Pour qui sonnera le glas ?
La Machine à Lire : « Un ours, un lion, un écolo pur et dur et une chasseuse par tradition familiale : chacun a sa voix, mais les rôles seront étrangement confus dans ce polar diablement efficace. »
Pour rassasier vos envies de lecture, La Machine à Lire vous offre un exemplaire de ce dernier ouvrage, cet Entre Fauves à glisser dans votre bibliothèque ou sous le sapin. Pour cela, rendez-vous sur notre jeu Nova Aime ci-dessous avant, ça va de soi, une petite visite en librairie. « Welcome to the Machine », comme diraient certains pink-floyds.
La Machine à Lire, 8 place du Parlement, à Bordeaux. 05 56 48 03 87. www.lamachinealire.com/