L’île qui groove, mais personne ne le sait.
Plus funky que bien des morceaux de yacht-rock et bien plus destiné à la plage que beaucoup de morceaux de funk, la soul et la disco d’Hawaï ont quelque chose à part, de l’ordre du fantasme et de terriblement attirant. Comme si nous éprouvions le besoin de calquer les clichés auxquels on voudrait croire sur la musique qui vient de l’île.
Fantasme & attraction
Il faut dire que l’île a bien une créativité qui lui est propre, un timbre qui la distingue au milieu de l’infini que représente la création musicale, notamment durant les années 1970 et 1980, où le jazz, le rock, le funk, la disco et le R’n’b sont venus se téléscoper avec le folk traditionnel de l’île.
Depuis 1959 l’île devient officiellement le 50e état des USA et se retrouve impliqué dans des enjeux plus macro de géopolitique comme le conflit au Vietnam qui se déroulera quelques années plus tard. L’île devient aussi plus poreuse à la musique internationale, d’abord la pop 60’s puis le funk des années 70.Le phare pour cette génération de musiciens fut la série de compilations Home Grown dont les deux volumes paraissent en 1976 et 1977. En sont issus des tubes majeurs qui font le tour des radios, comme Lihue de la star locale Nohelani Cypriano, ou encore la surf soul de Marvin Franklin, avec le formidable titre Kona Winds.
Mais la musique à Hawaï se teinte de questions culturelles. C’est ainsi seulement en 1978 que l’Hawaïen est reconnu comme langue officielle de l’État, et s’en suit alors un retour important de la culture Hula dans la musique de l’île. Le Hula était le registre de chant (le mele) et de musique associé aux danses traditionnelles d’Hawaï, extrêmement ritualisés, qui exprime des prières, les relations inter-générationelles et la mythologie de l’île. La complexité de ce genre musical réside dans le fait qu’il est censé être le support des expressions corporelles et poétique qui y sont associés. Les poètes qui y sont associés sont appelés haku mele, et suivent un entraînement rigoureux.
Ce retour à des éléments traditionnels de la musique hawaïenne conduit à des morceaux comme Kaho’olawe Song de Steve & Teresa qui déplorent la disparition d’une île (Kaho’olawe) dont il ne reste rien depuis que le gouvernement l’utilisait comme rampe de lancement de missiles.
Nohelani Cypriano, quant à elle, chante Kailua, la paisible ville d’avant l’invasion touristique.
En dépit du spleen que l’on peut retrouver dans ces morceaux, cette période constitue l’âge d’or de la musique organique à Hawaï, la culture du Djing apparaissant rapidement sur l’île, forçant par là même la fermeture des salles de concert. Toutefois, cet âge d’or n’a que très peu été relayé sur le territoire américain, et tous ces disques auraient pu injustement prendre la poussière sans l’amour et l’érudition de Roger Bong d’Aloha Got Soul, et notamment au travers de cette excellente compilation qui réunit des titres injustement passés inaperçus aux oreilles du monde.
Visuel : (c) Justin Ornellas