Rencontre avec le libero de la musique cubaine : Roberto Fonseca
Après quelques albums taillés dans le jazz pure souche, Roberto Fonseca est revenu l’année dernière avec un nouvel opus à la croisée des chemins, entre ses origines africaines et sa cubanité.
Pianiste émérite, il impressionne dés l’âge de 15 ans où il se fait remarquer lors d’un festival de jazz à La Havane. Il continue sa route aux côtés des plus grands tels que Javier Zalba (ex-Irakere), Ibrahim Ferrer, Omara Portuondo ou son alter ego du Buena Vista Social Club, Rubén González. Il nous a détaillé les coulisses de ce septième album.
Vous venez présenter votre nouvel album, Yo, très varié en terme de styles. Vous en aviez une idée précise avant l’enregistrement ou est-ce un disque qui s’est construit au fil des collaborations et de la production (Count & Gilles Peterson pour deux titres) ?
À chaque fois que je commence un nouvel album, la plupart des thèmes sont déjà écrits dans ma tête. Il y a une direction établie, décrétée dès le début, comme la présence d’Etienne Mbappe, Sekou Kouyate ou Munir Hossn.
Une fois qu’on avait composé la structure des nouveaux morceaux, les collaborations ont coloré l’ensemble. Par exemple Mi Negra Ave María devait être uniquement instrumentale à la base, c’est Gilles Peterson qui a invité Mike Ladd pour le spoken word. La chanson n’aurait pas du tout été la même sans ce featuring.
Sur Bibisa (en bas de page) la collaboration s’est aussi révélée cruciale car au début nous avions prévu la voix de Baba Sissoko mais il manquait une touche féminine sur ce titre. C’est pourquoi on a fait appel à Fatoumata Diawara qui lui a donné la dimension qu’on recherchait.
On sent une réelle complicité dans ces collaborations notamment sur les questions-réponses avec la kora, était-ce une surprise pour vous d’être aussi à l’aise avec des instruments que vous utilisez rarement ?
En fait je dois avouer que je n’avais jamais joué avec une kora auparavant et ce fut agréable et très surprenant de voir que l’on s’entendait si bien dans le dialogue musical, dans le feeling. J’ai aussi été très surpris de notre entente à trois avec Baba Sissoko au n’goni, moi au piano et Sekou Kouyate à la kora.
Cela n’a pas été facile car ces trois instruments sont très riches dans les sons et dans les harmonies, le travail d’arrangement est du coup plus délicat et il faut faire très attention.
Vous avez composé Mi Negra Ave María avec votre mère (cf ci-dessous)… quel était votre sentiment à l’écriture de cette chanson ?
D’une certaine manière tout le monde a son « Mi Negra Ave María ». Cela représente ma cubanité, ma musique. On a écrit cette chanson avec ma mère parce qu’elle a une profonde culture musicale. Elle est très proche des chorales d’églises où elle a officiait et l’on retrouve cette dimension religieuse à travers ce morceau je trouve.
Il y a aussi beaucoup d’espace, de silences musicaux, de titres plus rythmés dans cet album. Un rythme proche d’un film …
Pour moi, toutes les chansons ont une histoire donc oui, il y a un certain aspect cinématique dans ma musique. Quand je compose, je me mets souvent à la place d’un aveugle qui ne peut pas voir le film mais qui peut ressentir l’histoire à travers mes notes.
Je pense souvent à des compositeurs comme Abdullah Ibrahim et son « Ishmaëll » ou Itzhak Perlman avec la Liste de Schindler. Ils arrivent à donner une vraie dimension narrative dans leur musique.
Vous utilisez sur certains titres le piano Rhodes alors que vous ne l’aviez jamais utilisé sur vos albums précédents, qu’est-ce que cet instrument vous apporte au niveau sonore ?
Pour moi, cet instrument est très marqué dans le temps par ses sonorités, comme un voyage temporel. Je l’utilise surtout sur Rachel qui est plus funky que les autres titres, c’est un hommage à tous les artistes funk qui m’ont influencé. J’ai aussi utilisé un mini Moog sur cet album, toujours dans un esprit groovy.
Justement le funk est une de vos influences, vous avez joué en plus avec Javier Zalba (ex Irakere) et Herbie Hancock. Quels ont été les artistes qui vous ont le plus influencé ?
Si je devais en retenir quelques-uns il y aurait évidemment James Brown pour son funk unique. Mais aussi tout ceux qui utilisent le même instrument que moi comme Stevie Wonder ou Herbie Hancock et ses Headhunters, une référence dans le jazz funk et dont je suis un grand fan. Il m’a invité à jouer avec lui lors d’un concert.
Certains titres sont produits par Gilles Peterson, avec qui vous avez travaillé sur Havana Cultura , que vous apporte t-il en tant que producteur ?
Pour moi le producteur a la même importance que le musicien et il peut même être parfois plus important car il a une vision plus large du morceau. Il arrive à canaliser ce trop plein d’idées que tu peux avoir dans la composition, il fait le tri pour ne garder que l’essentiel.
C’est quelque chose de rassurant de travailler avec un bon producteur, surtout quand c’est Gilles Peterson.
Sur El Mayor, on entend le grésillement d’une radio au début du titre, était-ce pour vous le seul moyen d’écouter de la musique étrangère et y puiser vos influences ?
En tant que musicien, c’était surtout un moyen de se tenir au courant de nouvelles musiques, des nouveaux musiciens. Cuba étant proche des Etats-Unis, on avait la chance de pouvoir écouter leur bande FM.
Il est fascinant de voir comment de petits pays comme la Jamaïque ou Cuba peuvent avoir un grand nombre de très bons musiciens, comment l’expliquez-vous ?
Nos influences sont très riches dans les deux cas mais à Cuba il y a une grande qualité dans la formation musicale. On commence tous, et cela très jeune, par acquérir des bases de musique classique. Après on y ajoute l’aspect rythmique propre à notre culture, ce qui donne ce son très mélodique mais tout aussi rythmé.
De plus, à Cuba, on apprend la musique dans une optique professionnelle dès le début de notre formation, ce n’est pas un hobby mais quelque chose de très sérieux avec une discipline forte.
La playlist de Roberto Fonseca :
– Abbey Lincoln – A Heart Is Not A Toy (Over the Years – Verve Records)
– Police – Roxane (Outlandos d’Amour – A&M)
– Remo Giazotto & Tomaso Albinoni – Adagio di Albinoni
– Mercedes Cortés – Miro El Fondo de Tu Ser– Bob Marley & The Wailers – No Woman No Cry (Natty Dread – Tuff Gong)