Créatures grimées à base de nez crochus, mentons poilus, qui peuplent les histoires et dont on parle en souriant, les sorcières ont pourtant une histoire bien plus sombre qu’il n’y parait. On parle de milliers de femmes innocentes qui ont été traquées, menées en procès, souvent torturées et exécutées. Leur héritage est porté par les mouvements féministes modernes.
Une nouvelle règle vient d’être prononcée en Afghanistan : le régime taliban ordonne qu’une femme ne doit plus « entendre la voix d’une autre femme ». Terrifiant retour au temps des sorcières.
Le « gossip », rendre maléfique les discussions entre femmes
C’est un système de pensée similaire qui a fait naître le terme « gossip », un terme péjoratif utilisé pour qualifier les bavardages, les potins, souvent (toujours?) attribué à des conversations féminines. Le terme a été inventé pour rendre maléfiques les discussions entre femmes. En les qualifiant de « gossip », on les jugeait mauvaises. Des femmes qui se parlaient sans hommes, à l’époque, c’était un échange d’information qui aurait pu mener à la rébellion.
En ce jour d’Halloween, je vous propose justement de se souvenir de la véritable histoire des sorcières, qui gagnerait à être intégrée aux manuels scolaires du monde entier.
« Toute tête féminine qui dépassait pouvait susciter des vocations de chasseurs de sorcières »
À la renaissance, les femmes étaient accusées de sorcelleries pour un rien. On accusait surtout les moins riches, les célibataires, surtout les vieilles, et si leur mari était mort : parfait, on pouvait les accuser de l’avoir tué. Jackpot si elle était guérisseuse puisque ces femmes qui se mettaient à la médecine… ça ne plaisait pas trop aux médecins. Un mouton meurt au village ? C’est surement le coup d’une sorcière.
Dans son merveilleux livre « Sorcières » qui raconte et analyse ce pan de l’histoire oubliée, l’autrice Mona Chollet résume : « plus largement, toute tête féminine qui dépassait pouvait susciter des vocations de chasseurs de sorcières. Répondre à un voisin, parler haut, avoir un fort caractère ou une sexualité un peu trop libre ».
La magie étant difficile à prouver, accuser une femme de provoquer des morts par la pensée ou de rejoindre le diable la nuit sur son balai, ne requérrait d’autre preuves que les aveux de cette dernière. Sous la torture, on condamnait donc d’office les milliers de femmes accusées. Des boucs émissaires fastoches pour l’Église et, en plus, un puissant instrument de terreur et de discipline collective pour que les femmes restent bien dociles.
La peste ? un coup des sorcières
C’est devenu une vraie lubie, on parle de chasse aux sorcières. Pour vous donner une idée, en 1484, le Pape pense que la peste, c’est un coup des sorcières et leurs chats noirs. Il ordonne alors l’exécution de tous les chats noirs vus en compagnie d’une femme. Sauf que, décimer la population de chats, ça a permis aux rats de proliférer et les rats… transmettaient la peste. Cette invraisemblable et pourtant avérée chasse a commencé en 1440, a pris de l’ampleur en 1560, et la dernière exécution en Europe remonte à 1782, il s’agissait de la suissesse Anna Göldi. Encore aujourd’hui, il existe des accusations de sorcellerie dans certains pays du monde. C’est par exemple ce qui a tissé le fil de l’intrigue du film de Rungano Nyoni, « I am not a witch ».
Refaire l’Histoire
C’est seulement un siècle plus tard, en 1893, que la première historienne écrivit sur le sujet. Il s’agit de la militante féministe américaine Matilda Joslyne Gage, dans son livre « Femme, Église, État ». Elle propose de relire l’histoire des chasses aux sorcières en remplaçant le terme sorcières par « femme », disant que l’on comprend alors mieux ainsi la violence dont a fait preuve l’Église. Mais il a fallu plus de temps que ça pour raconter l’Histoire, ces faits, aujourd’hui établis, étaient loin de faire consensus au sein de la communauté des historiens il y a de cela trente ans. Par exemple, en 1992, c’était le triste anniversaire du procès des Sorcières de Salem. Mona Chollet raconte que l’événement était à la fois banalisé et abordé avec une approche non genrée.
Pour l’autrice, « à vrai dire, c’est précisément parce que les chasses aux sorcières nous parlent de notre monde que nous avons d’excellentes raisons de ne pas les regarder en face”. Son livre s’attache donc à lire le présent à la lumière de ce passé, on y parle de maternité, d’indépendance, ou bien par exemple de la figure diabolisée de la femme vieillissante.
La vieille sorcière
Puisque « les hommes ne vieillissent pas mieux que les femmes, ils ont juste l’autorisation de vieillir » et que là encore, c’est bien un moyen d’oppression : « on les oblige à tricher, puis on prend leur tricherie pour dénoncer leur fausseté et mieux les disqualifier ». La femme âgée, c’est la sorcière, les cheveux blancs, l’indiscipline, la liberté. Et comme Mona Chollet est constructive, elle invite à chérir la vieillesse et changer les lois, permettre à nos visages de raconter la vie que l’on a vécu.
« Nous sommes les descendantes des sorcières que vous n’avez pu bruler »
L’image de la sorcière est revenue dans les mouvements féministes de ces dernières années, elles s’appellent le mouvement wicca ou le Witch Bloc. La figure est réinvestie par ses héritières qui se proclament volontiers sorcières, politiques ou bien magiques. La magie apparait à nouveau comme l’arme des opprimés, et la figure rebelle et indocile symbolise une colère du présent. Maintenant que vous connaissez leur histoire, votre déguisement de ce soir n’en sera que plus intéressant !