Même Charles Xavier vous le confirmerait sans ambages : du 20 au 23 juin, au CAPC, l’Académie des Mutantes vous mettra à bonne école pour jouer à saute-mouton par-dessus les codes, les genres, les disciplines. Croisées, subsumées ou revues de fond en comble, les différentes dimensions du communément admis en prendront un petit coup sur le casque, adressé par un aéropage d’esprits forts, intrépides, réfléchis, résolus – les fameuses Mutantes du titre, en écho aux Guerillères.
Parmi celleux-ci, l’une des invitées d’honneur de cette Académie promotion 2024 : Hélène Cixous. Autrice, essayiste, dramaturge, philosophe, cofondatrice du Centre Universitaire Expérimental de Vincennes – et cent autres titres et fleurons pour lesquels il faudrait un bottin pour espérer en faire un bref topo -, l’Oranaise viendra évoquer « Itinéraires Fantômes », à la fois jeu de tarot oraculaire et exposition en forme d’anthologie hantée (une hantologie ?) de photos, de peintures, de vidéos et de textes, à voir au CAPC jusqu’au 19 janvier prochain.
Suivant les spectrales indications de Cixous – « fantôme parmi les fantômes » dit-elle, et qui évoque les expériences spirites hugoliennes dans son livre Mdeilmm – ces « Itinéraires Fantômes » chemine de ci de là, rassemblant Victor Hugo et Prima Jalichandra-Sakuntabhai, Minne Kersten et Joshua Leon autour des âmes et des mânes, des présences et des ectoplasmes, pris comme sujets sinon directement convoqués par les artistes – souvenir, médiumnité, expériences psychotropes, etc. L’occasion de ressortir cette phrase, célèbre, de Faulkner, affirmant que « le passé n’est jamais mort. Il n’est même pas passé » ou de ressasser cette autre, de Cixous elle-même : « les morts, qui ne sont rien sans nous, sont nos maîtres ».
Un thème qui fournira le prétexte d’une rencontre autour d’une table ronde – que les esprits taquins pourront rapprocher du guéridon de Jersey, celui du Livre des Tables. Autour de cette table ronde, donc, Hélène Cixous mais aussi l’artiste Alexandra Grant qui a illustré certaines des arcanes du tarot cixousien, ainsi que les commissaires d’exposition Ana Iwataki et Marion Vasseur Raluy, pour quelques palabres où « demain en or ruisselle(ra) sur toute la scène », pour reprendre une autre tournure de Cixous dans Mdeilmm.
Il ne vous aura pas échappé, en jetant un bref coup d’oeil au calendrier, que cette Académie des Mutantes tombera, le vendredi 21 juin, en pleine Fête de la musique. Un évènement solsticial sur lequel le CAPC ne fera pas l’impasse, oh que non. Des airs révolutionnaires sifflotés sur tous les tons avec l’artiste iranien Aliaskar Abarkas (All The Whistlers), une pièce chorégraphique de caner teker (trans-), une performance poésie-et-batterie (La Nuit, déclamations électro et spatio-temporelles) suivi d’un DJ-set afrofuturiste de Fallon Mayanja : les murs de l’entrepôt Laîné seront ceux d’une boîte à musiques formule expérimentale et format XXL pour marquer l’avènement de l’été.
Été mutant toujours, cela dit, et sans souci des académismes, grâce à la sarabande de propositions mouvantes, émouvantes, surprenantes, formulées par l’équipe-type de cette deuxième édition qui, Saint-Jean ou pas, fait feu de tout bois. On peut ainsi évoquer la performance de l’artiste multimédia Daria Blum, On Pointing On, éloge de l’indocilité et du féminispunk qui ouvrira cette Académie des Mutantes ; l’After Kinte de l’Écossaise Tako Taal, mise en scène théâtrale des résonances psychiques de l’historie coloniale, de la mémoire qui affleure et ressurgit par le biais du jeu d’acteur ; l’étonnante hybridation de stand up, de ventriloquie, de magie, de théâtre chanté et de conférence (oui, tout ça) opérée par la Colombienne Maria Fernanda Ordoñez (Parafernalia) ; sans oublier les rencontres et les ateliers, autour du mixage sonore, de la traduction, la transmission des voix oubliées, d’une anthropologie entre transe et transition des savoirs, de la fabrication de fanzines, etc.
Sans oublier, non plus, la cosmogonie trap et trippée de Low Lov (Mutations) ; les grandes lignes préparatoires, à découvrir en avant-première, de Dynastie, cabaret pétulant et parodie de soap-opera signée Sara Forever, finaliste de Drag Race France, lorgnant déjà sur l’édition 2025 ; et la projection, enfin, des court-métrages de Yuli Serfaty et celle du film Fabriquer de l’espoir au bord du gouffre consacré à la philosophe belge Isabelle Stengers, nouvel Abécédaire pour contrecarrer les magies noires du capital et renouveler l’imaginaire d’un monde déjà trop abîmé.
Autant dire qu’on est à ça de vouloir se greffer quelques yeux, oreilles et poumons surnuméraires, voire de se rencarder sur le don d’ubiquité afin d’apprécier, comme il se doit, l’intégralité de ce weekend à mutant complet.
L’Académie des Mutantes, du jeudi 20 au dimanche 23 juin @ CAPC (Bordeaux). Plus d’infos sur capc-bordeaux.fr/academie-des-mutantes