La chronique de Jean Rouzaud.
Les Éditions Rivages Rouge ont eu l’idée un peu masochiste de sortir un livre d’enquête par deux spécialistes, Frédéric Béghin et Philipe Blanchet, sur les collectionneurs de disques, vrais fans de musique.
Leurs solutions et difficultés à caser leur collection, les drames des déménagements, l’influence sur leur vie, surtout s’ils ne sont pas riches, sont autant de chapitres sociologiques et d’anecdotes touchantes sur le système « D », et ce que peut coûter une passion.
Mon prof de philo m’avait dit que celui qui aime la culture est destiné à souffrir plus que les autres, car il doit alimenter toute sa vie sa soif de connaissances et pleurer quand un Art ou une œuvre disparaissent.
Au-delà de 500 disques, un parcours du combattant
Les livres sont déjà un poids à caser chez soi, mais les disques sont encore plus encombrants car fragiles et ultra-délicats !
Alors commence, au-delà de 500 disques, le long parcours du combattant qui attend le collectionneur, même moyen, avec son boulet de rangements à organiser, dans des formats contrariants…
Je vous passe le chapitre étagères et autres cubes à taille réglementaire pour vinyles ou CD, 45 tours et même 78 tours, sans oublier les mini-cassettes et coffrets spéciaux (je m’interdis toute pub aux fabricants !)
Viennent ensuite les interviews de collectionneurs plus ou moins célèbres, des maniaques ou désordonnés : classements sans fin ou accès indirects dans des masses de titres…
Classement par nom, par genre, par date…
Le tout à plusieurs entrées : alphabétique ou par genres, par artistes ou même par dates, imbroglio jamais satisfaisant, surtout quand une collection continue de s’agrandir !
On appréciera la radicalité de ceux qui, envahis jusque dans les moindres recoins, décident que tout achat supplémentaire doit entrainer une sortie, donc un don ou une revente d’album : déchirant.
Quelques chiffres sur le million d’albums vinyles de Radio France, dépassé par le riche brésilien Zero Freitas et ses 6 millions d’albums ! (il veut carrément créer un « emporium Musical », car son entrepôt de plus de 2 000 mètres carrés près de São Paulo n’y suffit plus !!!)
Gilles Peterson, notre partenaire anglais (BBC, Acid Jazz, Talkin Loud…), ses 30 000 albums l’ont obligé à acheter à Londres la maison voisine de la sienne.
Robert Crumb, le Disney Underground, a commencé à acheter en 1959, vers ses seize ans et sa passion grandissante pour les orchestres rétros des années 1920, 30 et 40 l’ont amené à se diriger vers les 78 tours (après des tris et des choix rigoureux, il en a encore 8 000, dont des orchestres du monde entier et pas seulement blues, country, bluegrass). Il a les moyens de faire appel à des menuisiers pour ce format.
Il y a aussi ceux qui envahissent les greniers de maisons familiales et pour lesquels l’avenir est sombre si la maison doit être vendue un jour…
J’ai envie de laisser une conclusion à Jean-Daniel Beauvallet, l’un des fondateurs des Inrockuptibles dont il a également été rédacteur en chef, et ses « mètres » de 45 tours, qui nous rappelle avec sagesse qu’un disque que l’on n’écoute pas est une preuve de vanité, c’est une forme d’échec devant ces trophées inutiles !
Nous sommes des milliers en France à avoir ces blocs de disques, qui nous suivent comme des boulets, nous, les forçats du son, des galettes, mais aussi la mémoire de vraies collections d’époques que l’internet ne peut remplacer.
Comme le disait Ian Hunter, rockeur anglais : « Old records never die ».
L’art de ranger ses disques. Par Frédéric Béghin et Philippe Blanchet. Éditions Rivages Rouge. 115 pages. 12 euros 50 5 (toutes infos sur payot-rivages.fr)
Visuel © Éditions Rivages Rouge