La chronique de Jean Rouzaud.
En 1971, les Français découvrent un aspect de l’Amérique qu’ils n’osaient soupçonner, avec le film devenu culte de Peter Bogdanovich The Last Picture Show, – traduit La Dernière Séance en français -, qu’Eddy Mitchell gardera comme titre symbole de son émission de cinéma à la télé.
L’Amérique, la vraie ?
Cette chronique du middle ouest américain révèle aux français américanisés par la culture Pop, Rock, Western, polar, sport et pub…qu’il existe une Amérique pauvre, triste, dure, perdue !
Et pourtant Bogdanovich utilise tout le mythe américain : Jeans, Stetson, grands espaces, jolies filles, bandes d’adolescents, grosses bagnoles américaines, télé avec westerns, boum avec piscine…À lui seul, ce film au casting excellent va révéler Timothy Bottoms, Jeff Bridges et Cybill Shepherd, et confirmer Ellen Burstyn et Ben Johnson. Huit nominations aux Oscars.
Dans un bled paumé du Texas, un groupe de jeunes, à l’aube de devenir adultes, se heurtent aux ragots, à la médisance, et aux interdits de l’Amérique puritaine , avec déception et « no future » à la clé.
Tourné noir et blanc , les blue jeans, sweatshirts, voitures, chaussettes blanches, et tous les détails de décors de stations service ou snack-bars paraissent encore plus montrés comme des actualités, ajoutant du réalisme à la nostalgie. On est en 1951, au début de la guerre de Corée, et déjà des jeunes doivent partir à l’armée, quinze ans avant le Vietnam et six années après le retour d’Europe et du Japon.
La base du nouveau cinéma américain des 70’s
Les épouses frustrées, les maris buveurs, les débuts de coucheries ratées, les rivalités autour de la jolie fille de la bande, les a priori sur le moindre comportement différent, distillent une atmosphère poisseuse et angoissante, sur un rythme lent. Les scènes de flirt poussés, de « parties » dénudées autour d’une piscine, de femmes au foyer frustrées qui attrapent un jeune, sont époustouflantes de vérité et d’émotion, sous le soleil texan.
Le nouveau ciné américain des années 70 va naître : Panique à Needle Park, Rain People, Abattoir 5, Alice n’est plus ici, Macadam Cowboy etc. jusqu’à Taxi driver, et va montrer une Amérique violente, décomplexée. Paumée ?
Le choc de The Last Picture Show est que, justement, il remonte à 1951, l’Amérique rêvée, avec ses looks sport et western, ses fille blondes à queue de cheval, bien avant la révolution des années 60. Cette désillusion paradoxale, en plein décor d’« Americana » parfaite, made in USA, va justement frapper l’Europe par son honnêteté et sa simplicité totalement inattendue.
Bogdanovich nous révèle ici, avec art, pourquoi le chaudron américain va déborder, et le baby boom tout emporter.
The Last Picture Show (1971) de Peter Bogdanovich. DVD Carlotta. Sortie le 10 Octobre (+ Blue Ray et collector avec photos etc.) Également au Festival lumière à Lyon du 13 au 21 octobre. Et sortie de deux livres : Le cinéma comme élégie. Conversations avec Peter Bogdanovich de Jean-Baptiste Thoret (éditions Carlotta, diffusion Harmonia Mundi), La mise à mort de la licorne, roman de Bogdanovich sur l’assassinat de son amie Dorothy Stratten. Les deux livres le 18 octobre.
Visuels : (c) Carlotta