Centre névralgique des orgas estivales bordelaises, de Relâche à Chahuts en passant par Bordeaux Rock, le Square Dom Bedos dédie aujourd’hui ses parterres gazonnés à la mise à feu de deux Astroshøws de haute volée, enrôlant un équipage qui s’y connaît en décollages discoïdes, psyché, pop, électroniques, délurés, délirants, en navigations aux instruments, sans considérations pour l’ordinaire.
Le vendredi, c’est d’abord le Bordelais Waagal qui déploiera son arsenal musical, la grande artillerie de guitares, de kalimbas, kashakas, didgeridoo et autres encore, joués, bouclés, dans une performance soufflante de véritable homme-orchestre. Puis, remplaçant Les Filles de Illighadad dont la tournée a hélas été annulée, c’est la fougue de Lulu Van Trapp qui versera de copieux additifs au carburant de la fusée stellaire. Quelque part entre La Femme et Rita Mitsouko, c’est là où les exégètes situent souvent ce quatuor parisien débordant de punch, trempant volontiers ses orteils, ses frusques de créateur, et tête la première si affinités, dans le glam-rock pailleté, la variété des Idoles transies de synthés, la théâtralité pop bottant le cul au quant-à-soi.
Tout ceci chauffant l’ambiance pour arriver à température quand s’ouvriront les portes du Black Devil Disco Club, le projet dark disco dalien que conduit, depuis la fin des années 70, Bernard Fèvre. Longtemps relégué parmi les quatrièmes couteaux (au même titre qu’un Szajner ou un Patrick Vian) de la musique électronique hexagonale, Bernard Fèvre a gagné une flopée de points de cool lorsqu’Aphex Twin puis les Chemical Brothers se sont entichés de ses compos, les citant, les rééditant, les remixant, les samplant – bref, leur redonnant une seconde jeunesse.
Refusant tout passéisme, Fèvre, pas encore décidé à remiser ses claviers au placard, prolonge depuis cet état de grâce électronique, à coups de ritournelles machiniques où les portes, les couloirs et les passages secrets apparaissent soudain, au détour de poignée de croches subjuguantes ou d’un hook hypnotique, surprise de l’exploration sans plan préétabli.
Voilà déjà du très conséquent, niveau proposition. Mais la prog du lendemain n’a pas à rougir de la comparaison, au contraire. Déjà, bon, parce que – attention, argument un brin autocentré – la Radio Nova Bordeaux sera là, aux platines, pour accompagner de quelques disques les premiers coups à boire. Et puis parce que la présence de Murman Tsuladze, de Catastrophe et de Paolo Bozzi, ça devrait en aguicher plus d’un.e.
Faisons les présentations dans l’ordre d’apparition ; Murman Tsuladze, d’abord. Un trio franco-hispano-géorgien qui s’est inventé son propre passeport ; à la manière d’un Antoine Volodine ou d’un Enki Bilal, ils ont créé leur propre univers post-exotique, « post-soviet » disent-ils, où les poètes.ses punk, les cosmonautes, les contrebandier.es et les créatures hiérarcocéphales déambulent dans des pays à l’existence floue, entre rideaux de fer et routes de la soie. Dans les radios de ce Caucase fantasmé, transmuté, un goulash fort gouleyant de gniaque et de synthés, de réflecteurs disco, d’ondulations orientales et de circuits imprimés qui clignotent en tous sens. Georgia on your mind.
Après quoi, coup de maillet sur un lourd disque de bronze, viendra l’heure de Catastrophe. Bienheureuse Catastrophe, épatante créature à six têtes, sociétaires de la maison Tricatel qui rejouent Stop Making Sense dans le Rochefort chamarré de Jacques Demy, mettent Wyatt et Kendrick au parfum de Bob Fosse. All that jazz et all that pop, voilà un revigorant remède aux sinistroses, servi au premier degré et demi. Gageons que vous serez nombreux.ses dans les premiers rangs, d’autant plus qu’il s’agira d’une des ultimes opportunités de voir GONG! ; interprétation vivante, vibrante d’un disque en forme de « comédie musicale sur la forêt, les smartphones et le temps qui passe » ; un spectacle foisonnant de couleurs tape-rétines, d’absurdités magiques et d’exaltation gospel dans un monde sans dieu, dixit. « Chaque moustique, chaque mot, chaque visage et chaque ciel, tout comptera ». Ici, maintenant et nulle part ailleurs.
Et enfin, pour prolonger ce point culminant d’insouciance, de danse, d’ondoiements de bon aloi, le Toulousain (et Berlinois d’adoption) Pablo Bozzi ponctuera la soirée de quelques copieuses salves italo, de sinusoïdes synthwave, d’éclats horror disco façon giallo, aussi 80s que sa moustache de camionneur.
Gratifié d’un tel personnel de bord, pléthorique et enthousiasmant, voilà un vaisseau qui a de l’allure et des tigres dans ses réacteurs. Et vous savez pas la meilleure ? L’Astrodøme remettra ça les 4 et 5 août, eh ouais, Astroshøw’time, avec une affiche tout aussi remarquable. On affûte nos tournures et on vous parle de tout ça très bientôt – ici-même comme à l’antenne.