La chronique de Jean Rouzaud
La peinture moderne, affichée partout, est le plus souvent incomprise. Et c’est normal : comment comprendre, après dix-neuf siècles de peinture académique, religieuse, classique, enfermée dans des codes de représentation figés, l’éclatement du début du XXe siècle ?
Ce sont les Français, Impressionnistes, Nabis, puis Fauves, qui ont commencé à secouer le cocotier, exaspérés par les grandes expos, salons pompiers et leurs sélections, et ont mis le feu aux poudres !
Derain, Matisse, et les autres
Dès 1903, Derain, Matisse et cie, sont les Fauves qui embrasent le paysage (même si les grands chamanes – Cézanne, Bonnard, Gauguin – ont déchiré le voile qui recouvrait les esprits…)
L’étranger va suivre, et les Allemands, ces immenses cerveaux romantiques (galvanisés par le précurseur Emil Nolde), vont eux aussi envahir les cimaises des galeries.
Et c’est là, dès les années 1910, que Franz Marc et August Macke, avec le maître Kandinsky, vont tenter l’aventure du « Cavalier bleu » (Der Blaue Reiter), épisode court, mais déterminant.
Franz Marc va y aller carrément avec ces chevaux « Rondistes » (au lieu de Cubistes), bleus sur des fonds roses ou vert émeraude, masses de cous, croupes, nuques animales enchevêtrés…
Il peint les forces animales brutes (renards, poneys, fauves, mustangs) enchâssés dans des arcs-en-ciel, avec des bleus outremers et des rouges vermillons…
August Macke semble plus sage, avec des personnages dans des paysages de bois ou de nature, sauf que les couleurs sont si fortes et éclatantes, presque fluorescentes… que l’on dirait des visions sous LSD, acides lysergiques et autres psilocybes, faisant vibrer les couleurs d’un éclat surnaturel…
Mettez-vous à la place de ces artistes bouillonnants : leur monde industriel était noir, gris, brun… Zéro couleur dans cette Allemagne industrielle déjà calée dans ses villes, ses mines, ses usines…
Voilà qui éclaire un peu ces démarches, aujourd’hui incompréhensibles sans les étapes d’avant, puis celles qui suivront (les stridences des Expressionnistes, toujours Allemands, fissurés par la première guerre)
Et ces deux artistes pionniers vont d’ailleurs laisser leur peau sur les champs de 14-18 : Macke a 27 ans en 1914, et Marc en 1916 à 36 ans ! Fin de l’histoire.
Qu’auraient-ils fait de plus ? Regardez Kandinsky… et l’abstraction. Mais de toute façon le mouvement était lancé, et la boîte de Pandore ouverte, et l’« Art » allait exploser en une myriades de couleurs et de formes, dans laquelle plus personne ne se reconnaitrait…
Franz Marc / August Macke. L’aventure du Cavalier bleu. Au Musée de L’Orangerie. Du 5 mars au 17 juin 2019.
Visuels :
en Une © Franz Marc, Le rêve [Der Traum], 1912, Museo Thyssen-Bornemisza, Madrid
© August Macke, Drei Madchen, 1914
© August Macke, Landscape with cow, 1914