J.B. Lenoir est ce blues-man qui a chanté mieux que personne la violence de l’Alabama, un état plus que symbolique dans l’histoire du racisme aux Etats-Unis.
Toutes les semaines, dans Néo Géo, on vous raconte l’histoire d’un classique de la sono mondiale. C’est le Classico de Néo Géo, signé aujourd’hui par Hugues Marly.
Le 15 mai dernier, l’État de l’Alabama aux États-Unis a adopté l’un des textes les plus sévères de son histoire concernant les lois anti-avortement. S’il y a peu de chances que cette loi soit appliquée, cette situation continue d’affirmer le sursaut violemment réactionnaire qui traverse la politique américaine depuis le début de l’ère Trump. Un contrôle des corps, et une entrave des libertés qui tracent un parallèle avec la ségrégation et sa violence raciste.
Car l’Alabama est un État plus que symbolique dans l’histoire du racisme aux États-Unis, dans ses aspects les plus tragiques comme les plus braves. C’est là qu’en 1963, quatre fillettes noires furent tuées dans une église, après un attentant à la bombe orchestré par le Ku Klux Klan. C’est aussi entre les villes de Selma et Montgomery que se déroulèrent trois manifestations pour les droits civiques au mois de mars 1965, en réaction à une bavure survenue un mois plus tôt. Deux de ces marches sont entravées par de violentes répressions policières, mais la troisième finit par arriver à Montgomery. Ce trajet est désormais officiellement classé comme route historique aux États-Unis.
J.B. Lenoir est le bluesman qui a chanté mieux que personne la violence de l’Alabama. Musicien originaire de Chicago passé par un blues cuivré et accrocheur dans les années 50, il était déjà trop politique pour son époque, puisque son « Eisenhower Blues » sorti en 1954 avait du être rebaptisé « Tax Paying Blues » pour calmer une radio républicaine. Si ses premiers disques ne manquent pas de panache, c’est dans les années 60, à travers des musiques épurées et acoustiques, que Lenoir trouvera la meilleure passerelle pour ses textes ouvertement politiques.
Je ne peux rien y faire, à part m’asseoir et parfois pleurer, en pensant à la manière dont mon pauvre frère perdit la vie
En cette année 1965 (décidément bouillonnante), le musicien enregistre sa révolte discrète, d’une voix douce et profonde sur des notes de guitare tendues. J.B. Lenoir ne fait pas dans l’ambivalence :
« Je ne retournerai jamais en Alabama, ce n’est pas un endroit pour moi / Tu sais, ils ont tué mon frère et ma sœur, et on laisse ces gens courir en liberté ».
Le constat fait froid dans le dos.
Et si dans cette même chanson, le poids de la résignation se fait trop pesant : « Je ne peux rien y faire, à part m’asseoir et parfois pleurer, en pensant à la manière dont mon pauvre frère perdit la vie », on peut néanmoins saluer ces paroles explicites (comme souvent dans le répertoire du J.B. Lenoir), et cette approche singulière dans la musique blues, où la dimension sociale et politique se dessine sous forme de métaphores et de petites histoires de vie.J.B. Lenoir a récemment été célébré par Wim Wenders dans le film The Soul Of Man, deuxième épisode d’une série documentaire consacrée au blues. Le réalisateur met en lumière ses blues-man préférés, J.B. Lenoir, Skip James et Blind Willie Johnson, dans des séquences de reconstitutions, d’images d’archives et d’interviews, entrecoupées de séquences lives de musiciens tel que Nick Cave & The Bad Seeds ou Alvin Youngblood Hart qui reprennent en live des morceaux de ces blues-man exceptionnels.
Le Néo Géo du dimanche 26 mai, c’est en podcast.
Visuel © United States Library of Congress, © Capture d’écran Youtube