Un morceau qui rend hommage à l’icône de la musique populaire brésilienne.
Chaque semaine, le Néo Géo de Bintou Simporé vous propose de réécouter ou de découvrir une chanson emblématique de l’histoire des musiques actuelles : c’est le Classico de Néo Géo. Cette semaine, Véronique Mortaigne rend hommage à une grande interprète de la samba brésilienne décédée dans sa ville de Rio de Janeiro le 30 avril dernier. Elle s’appelait Beth Carvalho.
« Escasseia » : le titre désigne la rareté, le manque, mais le propos évoque le revers de la médaille. La chanson commence ainsi : « Le saint qui fait des miracles est celui qui châtie, la terre qui donne des fleurs donne aussi des orties, et tout ce qui vient en abondance s’épuise ». Voici donc une samba philosophique, comme les poètes populaires des mornes de Rio savaient en produire : on y danse, mais on y parle aussi, et en profondeur. Voici bien la duplicité de la samba, genre à double sens s’il en est.
Cette samba a été composée en 1981 par des rebelles de la vie, Aluízio Machado, Zé do Maranhão et Beto Sem Braço, un manchot, ancien marchand ambulant, qui fut à la samba ce que Ravel fut à la musique classique. Elle est interprétée par Beth Carvalho, icône de la musique populaire brésilienne, qui nous a quittés le 30 avril dernier, à l’âge de 72 ans.
Populaire, amoureuse de la rue, Beth Carvalho avait le cœur ancré à gauche depuis l’adolescence.
Blanche, Beth Carvalho était née bourgeoise, père avocat, mère pianiste classique. Douée pour la guitare, elle avait naturellement rejoint le mouvement bossa nova, avant de tourner le dos à l’hédonisme cool d’Ipanema pour partir à la recherche de ces compositeurs noirs qui alimentaient la « samba pur jus » depuis les faubourgs de la métropole brésilienne.
Populaire, amoureuse de la rue, Beth Carvalho avait le cœur ancré à gauche depuis l’adolescence : en 1964, son père, opposant, est traqué par le régime militaire. Au début des années 1970, la chanteuse à la voix swing et grave se fond littéralement dans Cacique de Ramos, un bloc carnavalesque de la zona norte.
Sur sa fiche identitaire, cette carioca typique, drôle et franche du collier, avait inscrit ses couleurs : le noir et le blanc de Botafogo, son club de foot, le vert et le rose de Mangueira, son école de samba, et le rouge du PT, son parti politique, celui de Lula et de Dilma Rousseff, qu’elle soutint jusqu’au bout, sans oublier le MST, le mouvement des sans terre. Logiquement, elle participa activement en 2018 au mouvement féminin #EleNão – lui non – en opposition à l’idiot fascisant Jair Bolsonaro, élu malgré tout à la tête de l’État.
Escasseia est extrait de l’album Na Fonte – À la source – paru en 1981. Beth Carvalho est déjà une très grande vedette populaire, elle a déjà gagné le titre de « marraine de la samba » pour avoir participé au lancement des nouvelles stars du genre – Fundo do Quintal, Zeca Pagodinho …, mais aussi pour avoir remis en lumière la « vieille garde » des sambistes trop ignorés des temps modernes, tels Clementina de Jesus, Nelson Cavaquinho ou Cartola.
En 1981, les généraux promulguent une loi d’amnistie qui permet à de nombreux opposants de rentrer au pays. Pourtant, Lula est traduit devant un tribunal militaire pour avoir mené la grève des métallurgistes à São Paulo.
« Escasseia », avec son déluge de surdos, de cuicas, de cavaquinho, exprime une allégresse sans borne, mais prévient : « Il ne faut pas sous-estimer un adversaire faible, car au jeu d’échec, le pion et le roi finissent dans le même trou ». Ainsi l’ancien syndicaliste ouvrier devint-il président de la République.
Sans samba, pas de vie.
« La samba, c’est la vie, c’est une guérison », disait alors Beth Carvalho. « Sans samba, pas de vie ». Ni amour, ni haine, ni bien, ni mal, ni profusion, ni sécheresse. Rien.
Le Néo Géo du 23 juin 2019, c’est en podcast.
Visuel © Arquivo Nacional (Brasil)