Et c’est Vincent Tarrière qui nous le raconte.
Chaque semaine, le Néo Géo de Bintou Simporé vous propose de réécouter ou de découvrir une chanson emblématique de l’histoire des musiques actuelles : c’est le Classico de Néo Géo. Cette semaine : « Precious Lord, Take My Hand » d’Aretha Franklin. Et c’est Vincent Tarrière qui nous le raconte.
Pas une chanson, pas un album, mais un double album, Amazing Grace, enregistré et publié en 1972 par une Aretha Franklin alors au sommet de son art, dans une église du quartier de Watts, à Los Angeles, accompagnée par une célèbre chorale gospel. C’est le plus grand succès de sa carrière : plus de deux millions de copies vendues aux États-Unis, et un disque qui signe le retour de la Queen of Soul à ses premiers amours, elle qui était la fille d’un révérend dont les sermons, publiés sous forme de vinyles, se vendaient comme des petits pains. Tout un symbole quand on sait qu’à ses débuts, en 1961, Aretha Franklin avait dû publier une tribune dans un hebdomadaire de la communauté afro-américaine The New York Amsterdam News, pour se justifier d’avoir abandonné la musique sacrée, déclarant : « je ne pense pas avoir trahi le Seigneur quand j’ai décidé, il y a deux ans, de passer à la musique profane. Après tout, le blues est une musique née des souffrances de mon peuple du temps de l’esclavage ».
Et Aretha Franklin et Jerry Wexler revendiquent a posteriori la paternité de ce disque. Ce que l’on sait toutefois, c’est que la chanteuse a décidé d’imposer la star du gospel James Cleveland, qu’Aretha connaissait depuis sa plus tendre enfance, et qui lui avait, si ce n’est appris à jouer du piano, au moins montré tout un tas de ficelles. C’est elle aussi qui a demandé à ce que ce disque soit enregistré à l’occasion d’un véritable service religieux, comme il s’en déroulait chaque semaine au New Temple Missionary Baptist Church, l’ancien cinéma transformé en temple dans lequel officiait James Cleveland et sa chorale. Pour ce classico, on a un ainsi choisi d’isoler le morceau « Precious Lord, Take My Hand », qui symbolise parfaitement la rencontre de l’esprit saint et de la culture populaire, puisqu’il s’agit d’un pot-pourri constitué d’un hymne religieux et d’un tube pop. Le standard gospel, c’est « Precious Lord, Take My Hand », la composition la plus célèbre de Thomas A. Dorsey, le père du gospel moderne, un ancien bluesman qui, au tournant des années 1930, va abandonner la musique du diable afin de se consacrer à la musique sacrée.
C’est un morceau qui a été interprété par les plus grands noms du gospel, comme Clara Ward, Sister Rosetta Tharpe, ou encore les Blind Boys of Alabama. Aretha Franklin elle-même l’avait enregistrée au tout début de sa carrière, alors qu’elle n’avait que quatorze ans, seule au piano, à Détroit, dans l’église de son père – le révérend C.L Franklin. C’est aussi un hymne pour la lutte des Droits civiques, et c’était d’ailleurs la chanson favorite de Martin Luter King.
C’est aussi un morceau profane de 1971, popularisé par James Taylor, Donny Hathaway, Roberta Flack. Ses paroles ont été légèrement altérées pour la circonstance, mais cette magnifique ode à l’amitié et à la fraternité porte un message à interprétation sacrée.
À l’époque, Jerry Wexler, le producteur du disque, convainc la Warner de filmer l’événement. La réalisation a été confié à Sydney Pollack, qui vient de triompher avec On achève bien les chevaux. Pollack est, paraît-il, fan d’Aretha Franklin, mais il n’a aucune expérience en matière de documentaire, et encore moins de captation de concert, et il va commettre une erreur de débutant en oubliant de s’assurer de la bonne synchronisation du son et de l’image.
Aussi se retrouve-t-il avec plus de vingt heures de rushs sur les bras – il y avait pas moins de cinq caméras – qui sont tout bonnement inutilisables. Un vrai cauchemar. Résultat : pendant près de trente-cinq ans, les pellicules sont remisées dans les cartons de la Warner, avant qu’Alan Eliott, un ancien employé d’Atlantic devenu producteur, ne convainque la major de lui vendre les pellicules et les bandes pour, grâce au progrès de la technique, parvenir à tirer un film de tout ça. Le film Amazing Grace est présenté à La Berlinale ce 15 février.
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Visuel (c) Getty Images / ABC Photo Archives