Le cricket, soit l’alter ego parfait du yoga.
La Chronique Sport, c’est tous les mardis à 8h45 avec Barnabé Binctin dans Pour Que Tu Rêves Encore, la matinale de Nova. Si vous n’êtes pas du matin, vous pouvez la réécouter en podcast, ou bien la lire ci-dessous.
Aujourd’hui, on vous proposait une matinale spéciale Yoga. Alors Barnabé Binctin en a profité pour vous parler d’un sport qui est un peu son alter ego en Inde : le cricket. Vous savez, le cricket c’est ce sport qui ressemble au base-ball, avec deux équipes opposées, l’une qui lance une petite balle et l’autre qui essaye de la frapper avec sa batte, le plus loin possible, sans se faire intercepter.
Ça paraît plutôt simple comme ça, mais ça ne l’est pas tant, en témoigne la durée des matches qui s’étalent souvent sur trois, quatre, ou cinq jours. Si le cricket et le yoga ont quelque chose en commun, c’est leur trajectoire, qui est presque diamétralement opposée.
On vous a perdus ?
On vous explique. Si le yoga est parti d’Inde pour coloniser le reste du monde, le cricket, lui, a fait le chemin inverse. Il est arrivé en Inde avec la colonisation britannique et n’en est plus jamais reparti. Aujourd’hui, le cricket est LE sport national en Inde, de très loin le plus populaire, que vous verrez toujours diffusé sur une télé au coin de la rue, celui pour lequel les gens organisent leurs vacances en fonction des compétitions. À tel point que certains matches de l’équipe nationale deviennent carrément des jours fériés en Inde.
Mais comment en est-on arrivé là ?
Tout comme le yoga, c’est l’histoire d’une conquête qui mêle des enjeux bien au-delà du sportif. À la base, le cricket arrive en Inde au XIXe siècle comme outil dans la « mission de civilisation » de l’Empire britannique. Il est enseigné aux élites indiennes, d’abord exclusivement à la communauté Parsie, plus proche des officiers britanniques, puis à la royauté indienne et à certains Maharajahs.
C’est ainsi que naissent les premières icônes du cricket indien, telles que Ranji, un prince qui devint le meilleur batteur du début du XXème siècle et qui partit directement en Angleterre, jouer pour l’équipe nationale, devenant l’une des premières stars de l’ère moderne du cricket, et défrayant la chronique dans les pages du Vanity Fair de l’époque…
Les Anglais partent, le cricket reste
Sauf qu’à force de se populariser, le cricket finit par échapper à l’Empire britannique pour devenir, au contraire, un outil de lutte contre la domination coloniale pour les Indiens.
Dans le contexte de décolonisation dite « pacifique » de l’Inde, sans action militaire, le cricket devient le terrain symbolique des aspirations indépendantistes. Les matches organisés contre l’occupant permettent de fédérer un sentiment d’unité indienne. Si bien qu’en 1947, à la proclamation de l’indépendance, les Anglais partent mais le cricket reste, fermement enraciné sur le territoire. C’est ce que l’anthropologue indien Arjun Appadurai appelle « l’indigénisation du cricket » pour raconter comment ce sport, qui était donc d’abord un véhicule des grandes valeurs victoriennes – la loyauté, le fair-play, le contrôle de soi – a fini par être totalement réapproprié culturellement au point de devenir le héraut des valeurs indiennes.
Sport politique
Aujourd’hui, le cricket est plus que jamais politique en Inde. C’est un ciment très fort pour l’identité indienne. Le pays est aujourd’hui l’une des plus grandes nations de cricket, ses deux titres de champions du monde (1983 & 2011) la font exister sur la carte mondiale du sport et le cricket est probablement le seul sport occidental dont l’épicentre s’est à ce point déplacé vers le sous-continent indien.
Surtout, le cricket joue un rôle essentiel dans les relations de l’Inde avec son voisin, et ennemi juré, le Pakistan. On parle carrément de la « diplomatie du cricket » pour désigner ces phases de dialogue que le cricket a parfois permis d’ouvrir dans des moments très critiques entre les deux pays. Ces dernières semaines, les relations entre les deux pays ont été extrêmement tendues. Il serait peut-être temps de re-frapper la balle un bon coup pour l’Inde et le Pakistan et ça tombe bien, la coupe du monde de cricket, débute dans un mois.
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