À l’occasion de la sortie du livre de Médine, retour sur ce hip-hop converti à l’Islam
« I’m Muslim, Don’t Panik », une punchline du MC français Médine dont est tiré le titre du documentaire de Keira Maameri : Don’t Panik, et le livre d’entretiens que cosigne cette semaine le rappeur avec le géopolitologue Pascal Boniface.
Le doc analyse la rencontre entre vie spirituelle et atmosphère hip-hop chez les rappeurs musulmans. Ils sont six à témoigner : A.D.L le Suédois, Doug E Tee le Sénégalais, Hasan Salaam l’Américain, Manza le Belge, Médine le Français et Youss l’Algérien.
la sortie du film Malcolm X de Spike Lee, provoque un vague de conversions dans le milieu hip-hop
Quand on associe Rap & Islam en France, on pense avant tout aux chefs de file médiatiques. Il y a Abd al Malik qui titre son autobiographie Qu’Allah bénisse la France !, Diam’s, montant la tête couverte sur scène ou encore Akhenaton et Kery James, convertis à l’Islam jusque dans leurs lyrics et certaines de leurs instrus.
Aux Etats-Unis c’est la sortie en 1992 du film Malcolm X de Spike Lee, retraçant la vie du défenseur des droits civiques converti à l’Islam, qui provoque un vague de conversions sans précédent dans le milieu hip-hop. Public Enemy, Ice Cube, Ice T ou encore Raekwon du Wu-Tang embrassent la religion musulmane et les préceptes de la Nation of Islam presqu’exclusivement afro-américaine. Hasan Salaam a « découvert l’Islam avec le Wu Tang ». Pour lui, le choix de cette religion est comme une cerise sur le gâteau. Il a longtemps souffert du racisme anti-noir ; choisir Allah c’est, outre-atlantique, se rajouter un handicap. Une marginalisation choisie après la marginalisation forcée.
C’est le cas aussi de A.D.L. en Suède. Au pays des blonds, il a fait sa Chahada – profession de foi – comme exutoire à son sentiment d’exclusion.
En France, le choix de l’Islam se fait plutôt dans le berceau du rap, en bas des barres, auprès des imams. Hip hop et Islam sont des identités de choix pour des jeunes en manque de repères.
« Athée, j’ai mué pour devenir un être ultra mystique/ un métèque de confession islamique / j’ai embrassé le chemin droit et délaissé les slaloms « . Akhénaton
Youss a senti d’Algérie la chasse aux sorcières post-11 septembre contre les musulmans. Et souffert à distance des amalgames. Le rap pour lui est le meilleur moyen de combattre les clichés sur sa religion. Médine parle de faire « reculer l’islamophobie grandissante dans le monde »
Athée, j’ai mué pour devenir un être ultra mystique/ un métèque de confession islamique – AKHENATON
Au Maghreb, choisir le hip-hop pour combattre le sentiment américain anti-musulman c’est choisir un moyen américain de se battre. À mains armées de micro.
Alger Pleure, tiré du dernier album de Médine.
Dans le fond, les paroles, être musulman et MC peut ressembler à tout et son contraire. Le sociologue Farid El Asri compte lui 3 façons d’exprimer la religion dans les textes de rap. Le parler naturel où l’on aborde sa religion comme sa culture, entre l’éducation et le vécu. Il y a ensuite la réelle profession de foi, la démarche d’affirmation de l’identité pieuse pour combattre les clichés ou faire carrément du prosélytisme. Il y a enfin la prose purement mercantile de rappeurs qui ont compris que le hip hop halal peut rapporter gros.
On peut se permettre de séparer les flows muslims en deux catégories : celui des convertis d’occident, plus enragés et revendicatifs et celui des musulmans de naissance, souvent des pays du Sud, pour qui la religion est simplement partie intégrante de leur culture. Ici les paroles peuvent parfois être de vraies prières, de vraies confessions.
De son Sénégal natal, pays de l’Islam maraboutique, Doug E Tee veut absolument séparer la mosquée et le peura. Son mode de vie, son environnement, sont entièrement halal, pas ses lyrics. En France, Médine avec son blaze de ville sainte veut jeter un pavé dans la mare : « La provoc est un piège positif. Il faut marquer les esprits, gueuler pour faire passer le message ». Ce que Farid El Asri qualifie d’« épouvantail attractif », autrement dit provoquer pour créer le débat. Médine regrette que de ses textes on ne retienne que sa barbe et qu’on le taxe de prosélyte. Il a appelé son album Jihad.
« Pourquoi tu parles de ma barbe derrière ta moustache / Petit journaliste en stage ».
A.D.L a découvert Allah et son prophète dans le hip-hop. Pour lui, le rap a un pouvoir attractif. Un pouvoir d’informer aussi. Manza le Belge regrette surtout que la plupart des lyricistes se revendiquant musulmans n’y connaissent rien. Il rappelle paradoxalement que certains versets du Coran disent de la musique qu’elle est haram, péché.
C’est d’ailleurs cette notion d’interdit qui anime le débat rap et Islam. « Bien sûr ça me fait chier de voir de l’alcool au bar pendant mes concerts », se plaint Médine. Ne parlons même pas des tenues vestimentaires et de la condition féminine pas franchement islamo-friendly du rap en général. Heureusement, tous ont la tête sur les épaules et ne se rêvent pas en haut du minaret, ni prophètes.
C’est en parvenant à éviter l’écueil du prosélytisme et en séparant comme il se doit le culte privé du décorum hip-hop que les rappeurs musulmans réussissent à faire reculer les clichés et passer leur foi en évitant les raccourcis. Inch Allah ils ne seront plus montrés du doigt.
«Don’t Panik», aux éditions Desclee de Brouwer