Chaque jour, Nova met un coup de projecteur sur une nouveauté. Aujourd’hui : « On l’a dans l’baba » de Henri Salvador.
« Malheureusement, les belles chansons ne font pas une carrière extraordinaire. Ce sont des chansons qui existeront après ma mort.«
Ainsi prophétisait Henri Salvador, en 1969. Pour beaucoup et peu importe la génération, Salvador, c’est ce sympathique personnage qui a toujours été là, dans un coin de la mémoire : le comique rigolard de « Zorro est arrivé », le conteur de « Une chanson douce », et plus tard, le grand-père tranquille de « Jardin d’hiver ».
Mais Salvador, c’est bien plus que ça. Si l’on gratte bien. Et gratter, Born Bad Records l’a fait, pour une superbe compilation-hommage qui sort aujourd’hui-même : Homme Studio. Un travail inestimable mené par Guido Cesazsky (Acid Arab) qui, après avoir dédié deux compilations à Pierre Vassiliu, devait bien se tourner vers cet autre inclassable du paysage musical français.
« Crooner créole »
En soixante-dix ans de carrière et un millier de compositions, Salvador a parcouru tous les courants, toutes les modes. Né en Guyane de parents guadeloupéens, Henri découvre tôt son attrait pour la scène. Dans les années 30, il est pitre sur les terrasses de café, puis s’initie tout seul aux instruments de musique (trompette, violon, batterie et guitare) pour jouer dans les clubs de jazz. Étiqueté « crooner créole » dans les années 40, il séduit par ses imitations et ses chansons dans les music-halls.
Dans les années 50, sous le pseudo Henry Cording, il s’associe à Boris Vian et Michel Legrand sur des parodies d’un genre nouveau, importé des États-Unis : c’est avec lui, dit-on, que le rock & roll en français est né.
Et puis les succès abondent : en marge des yé-yé, Salvador est partout, homme de télévision, artiste-à-tout-faire, enchaînant comptines pour enfants et contes grivois pour adultes. Un sacré rigolo.
Mais Rigolo, ce n’est pas seulement un qualificatif, ça devient un label. Son propre label, créé en 1964, sous l’impulsion de sa femme Jacqueline, celle qui l’a aidé à s’émanciper. Grâce à elle, Salvador se libère des chaînes qui l’unissent à son label, son manageur, son imprésario. Le couple se professionnalise pour être entièrement indépendant. Et avec le label naît un studio Place Vendôme, chez les Salvador. L’appartement se remplit de micros, d’une console artisanale, et surtout d’instruments : des guitares, mais aussi des synthés et des boîtes à rythme, parmi les premières du marché.
Salvador : l’audace derrière les grimaces
C’est bien cette période (auto-)productive qui intéresse donc la compilation Homme Studio. Seize morceaux enregistrés entre 1969 et 1978, qui dévoilent un Salvador comme on ne l’a jamais entendu. Ses nouveaux jouets en main, l’artiste expérimente, s’amuse avec les textures électroniques et les superpositions de voix. Sa musique se mue alors en un « jazz mécanique », brut et groovy, aux paroles tour à tour loufoques, sensibles, contestataires. On trouve sur la compilation certaines de ses chansons pour enfants, qu’il est tenu de produire pour Disney — des reprises bricolées de « Siffler en travaillant » ou « Un jour mon prince viendra », qui paraîtront en 1971 sur l’album Les Aristochats.
Mais aussi des pépites de tous horizons, dont certaines que les diggers reconnaîtront, comme sa reprise du hit disco « Shame Shame Shame », devenu « J’aime tes genoux », ou encore sa fabuleuse ballade douce-amère « Pauvre Jésus-Christ ».
Parmi les découvertes, il y a la sublime ballade latinisante « Et des mandolines », décrit comme une « ode au cool » louchant de Lucio Battisti », la parodie politique de « Kissinger, le duc Tho » et plusieurs critiques acerbes de la société française — parmi lesquelles l’étonnant « On l’a dans l’baba « (1978), aux paroles plus actuelles que jamais, et où Salvador expérimente avec le vocoder.
Homme Studio -1970/1975 by Henri Salvador
En bref, une compilation étonnante, fabuleuse, nécessaire, à se procurer dans son édition vinyle à l’artwork réussi et la documentation fournie signée Guido Cesarsky. La plus belle manière de rendre justice à la versatilité, la créativité et le génie incompris de Henri Salvador.