Le meilleur de la Nouvelle Internationale à Cuba
On en rêvait depuis quelques semaines : voici le résumé de notre inspirante et très riche semaine à La Havane. Une ville lumineuse, énergique et paradoxale. Alors à quoi ressemble ce pays que l’on dit figé dans l’Histoire ?
De Buena Vista au Malecón
À peine arrivés, on remarque des slogans un peu partout sur les murs de la ville : « lutter contre l’impossible et vaincre » ou encore « nous nous battons pour le respect et le bonheur des hommes »). Ce sont souvent des citations de Castro, accompagnées d’un portrait de lui ou de celui du Che (d‘ailleurs, à propos de Che, mardi nous avons reçu son frère, avec qui l’on a discuté de l’empreinte laissée à Cuba par celui qu’il préfère appeler Ernestito.)
Si vous ouvrez grand les oreilles, vous entendrez sûrement le son de Radio Reloj, une radio qui donne l’heure toutes les 5 minutes et sur laquelle les Havanais peuvent rester branchés des heures (et que Manu Chao a samplé par ici).
Une image marquante : les voitures, les vieilles berlines des années 50 (voire des années 20, comme en témoigne Caroline dans sa lettre), héritages de l’embargo américain. Ici, tout le monde bricole plus ou moins, pour savoir les remettre en état. Mais contrairement à l’image que l’on pourrait s’en faire, il y a très peu de voitures par habitant à Cuba. D’ailleurs ne vous étonnez pas si vous croisez, aussi, des charrettes tirées par des ânes. Dans la nuit, on les distingue d’un seul point lumineux, un CD à l’arrière qui reflète les phares des voitures !
Dans la vieille ville, les façades brillent de milles couleurs, mais les bâtiments de l’époque coloniale sont pour la plupart délabrés. Les strates apparentes, cernées d’échaffaudages bancaux, dévoilent des câbles d’électricité qui tombent du plafond et l’eau s’infiltre de partout, sur les murs et sur le sol… Bienvenido a La Habana !
(à noter quand même avant de s’installer : les relations entre cubains et étrangers sont très réglementées. Officiellement, il ne vous sera pas possible de dormir chez l’habitant même si en pratique, les autorités lâchent du lest depuis quelques années.)
Le verre à moitié plein
Parler de Cuba, c’est d’abord danser d’un aspect à l’autre, naviguer entre ce qui fonctionne extrêmement bien et ce qui est beaucoup plus litigieux.
Commençons par le positif (NB : si vraiment vous préférez débuter par le négatif, scrollez un peu plus bas) : Cuba est un pays hypnotique. Idéal pour les cinéastes comme Léa Rinaldi (qui a filmé le groupe de rap Los Aldeanos – à écouter ci-dessous) ou pour les peintres – Emmanuel Michel en sait quelque chose, il nous l’a raconté dans une lettre. Lumineuse, aux couleurs vives, l’île dégage une énergie folle. Et la révolution de 1959 compte quand même quelques réussites…
D’abord la médecine : Cuba est le pays avec le plus de médecins au monde par habitant. Des praticiens très bien formés qui sont envoyés à l’étranger pour apporter des soins à ceux qui en ont le plus besoin. Ensuite, le système éducatif : juste après la révolution, Castro s’est donné pour objectif de faire de Cuba un pays complètement alphabétisé en 1 an seulement. Et honnêtement, c’est une belle réussite. Qui a inspiré ce morceau à Carlos Puebla, le chanteur officiel de la révolution cubaine :
Si le régime castriste est clairement autoritaire, cela n’empêche pas les Cubains d’être régulièrement appelés aux urnes. La démocratie fonctionne à l’échelle locale, même si le système électoral diffère énormément de ce que nous connaissons.
Depuis quelques années, le régime s’ouvre progressivement. Exemple typique : la communauté homosexuelle, autrefois marginalisée et exclue par le régime, a aujourd’hui sa gay pride, sous l’impulsion de la fille de Raul Castro. Le raprochement entamé avec les États-Unis laisse entrevoir une plus grande liberté pour le peuple cubain dans les années à venir… Ou au moins, l’autorisation d’écouter les Stones et la possibilité de les voir en concert.
Le verre à moitié vide
Passons maintenant aux aspects moins reluisants de Cuba.
Tant que l’URSS soutenait financièrement le régime, la pauvreté était une réalité assez lointaine. Les paysans notamment avaient bénéficié de la réforme agraire, qui a permis une redistribution ou une collectivisation des terres agricoles.
Mais à la chute de l’empire soviétique, l’île a perdu une immense manne financière et s’est retrouvée seule face à l’embargo américain. Le résultat ? Une crise économique doublée d’une famine dans les années qui ont suivi (la fameuse « période spéciale » entre 1990 et 1995). Le départ clandestin de dizaines de milliers de Cubains vers les États-Unis, notamment en 1994 lors de la crise de balseros. Aujourd’hui, la pauvreté est toujours frappante dans certains quartiers de La Havane et dans certains villages de l’île. Les Cubains ont d’ailleurs toujours, depuis le début des années 60, des tickets de rationnement ! Dans le même esprit, le boeuf a complètement disparu des assiettes – pire, il est interdit d’en tuer un, sous peine d’aller goûter aux geôles cubaines. Toutes les explications par ici.
Et puis, bien sûr, Cuba sous Castro supporte mal la critique. Entre 1965 et 1968, le régime envoie tous les indésirables dans les UMAP, des camps de travail où l’on retrouve pêle-mêle des dissidents politiques, des homosexuels, des témoins de Jéhovah, des hippies… Des milliers d’opposants croupissent dans les geôles cubaines. D’autres ont tout bonnement disparu, et leurs proches, leurs femmes, surnommées les « dames en blanc » se réunissent chaque dimanche, silencieusement, manière d’exprimer qu’elles n’oublient pas ceux qui se sont volatilisés. Juste avant la récente visite d’Obama, des centaines d’entre elles ont été assignées à domicile, simple mesure de précaution pour éviter tout désordre. Et de nombreux dissidents ont été tout bonnement arrêtés. Elle aussi a connu une arrestation arbitraire : Yoani Sanchez, blogueuse lue chaque mois par des millions d’internautes, a régulièrement vu son blog bloqué et a même été arrêtée.
Si Internet permet aux Cubains d’accéder à des voix dissidentes, il n’est pas toujours facile pour eux de s’y connecter. Alors chaque semaine, ils s’arrachent le Paquete, un disque dur qui contient tous les derniers films à voir, morceaux de musique à écouter et articles qu’il faut avoir lus.
En bonus
– Ne partez pas de Cuba sans en avoir dégusté le petit-déjeuner, ultra copieux et délicieux !
– Le mix spécial Cuba concocté par notre programmateur Emile Omar.
– Prenez le temps de découvrir la musique cubaine, à travers cette délicieuse playlist et cette interview du grand pianiste cubain Chucho Valdés.
– Un petit souvenir de l’un des festivals les plus insolites du monde, le festival du cigare avec le concours de la plus longue cendre au monde !
– Tous les best-of de la semaine
On vous laisse avec un dicton cubain, qui résume beaucoup de choses de La Havane :
Nous vivons comme des pauvres, mais nous mourons comme des riches