La chronique de Jean Rouzaud.
Marc Alvarado, auteur de ce livre de 300 pages (Éditions Le Mot et le Reste) a eu le courage de se lancer dans l’histoire d’un moment très difficile de la musique populaire : devenue industrielle, emportée par le Pop Rock, les anciens genres musicaux déjà épuisés par un marketing endiablé… On est vers 1969, année charnière…
Milieu 60’s, le Jazz en marge ?
De même que la Pop avait rétamé le Rockabilly vers 1960, puis l’électricité avait enterré le Folk vers 1965, c’était au tour du Jazz (encore vivace dans les sixties, malgré les avalanches Pop, Psyché…), même de l’avant-garde Jazz Cool ou Hard Bop ou Free, de tomber.
On parle de grand public international, suite aux grands festivals, et aux coups de boutoir des Britanniques avec leur Blues Rock, mais aussi aux succès grandissants des rois de ce qu’on appelait Rythm and Blues : James Brown, Sam and Dave, Otis Redding, Wilson Pickett, Aretha Franklin… Les labels Stax, Chess, mais aussi les efforts de la Motown qui avait réussi à imposer une Soul raffinée.
L’auteur cite bien les quelques géants qui ont tout fait basculer : Jimi Hendrix bien sûr (qui connaissait le Jazz), mais il y aura aussi Sly Stone, génie Pop au talent large, ou Arthur Lee, avec son groupe Love qui avait créé la voie à un psychédélisme ouvert à tous les genres !
Tout cela sonnait le glas de musiciens virtuoses, mais complaisants, aux concerts interminables, ponctués de solos illisibles pour le public.
Miles Davis, star déclinante, va tout faire pour s’adapter : bien conseillée par son épouse Betty Davis (née Mabry), une fille Funky, en avance, chantant le sexe comme James Brown, en tenue Funkadelic ! Elle le pousse vers le Rock, la Soul Funk, le show électrique… et elle le sauve.
Même le Latin jazz et la Bossa brésilienne, la Samba et autres avaient atteint leurs limites en cette fin sixties, tellement l’industrie du disque avait décuplé, et tiré toutes ses cartouches à la fois : les grands groupes avaient déjà tué la poule aux œufs d’or !
La fusion comme solution
Ce livre traite évidemment de toutes sortes de groupes et d’échanges de musiciens, lesquels, afin de sauver les meubles, faute de trouver une formule, misaient tout sur un mot : Fusion !
On mélange péniblement, mais ça passe mal : de ce grand brassage, surnagent quelques noms, comme John Mac Laughlin (qui jouera même avec Paco de Lucia le grand guitariste Flamenco) ou Larry Coryell, et Chick Corea, tous autour d’une improvisation fusion…
Se réinventer pour survivre
Des dizaines de tentatives et de disques osés, de 1970 à 75, mais les musiciens habiles et savants ne rencontrent pas forcément un public. Ils sont tous là, dans ce livre : Weather Report, Blood sweat and Tears, Mahavishnu Orchestra…
La grande découverte de cette époque épuisée serait à chercher du côté du Volume du son (les Anglais avaient déjà trouvé les « Power Chords » frappées, des Troggs, Kinks, Who ou plus Tard Led Zeppelin, mais ils étaient juste entrain d’ inventer le Hard Rock !), mais aussi de l’importance grandissante des percussions (voire la basse Funky ou les riffs de Hendrix, véritables percussions obtenues avec les autres instruments !)
Et enfin l’Électronique, les effets : les larsen, delay, re-re, pédale wah wah, vibratos, échos et multiples autres inventions (les synthés Moog et Fender Rhodes)…l’électronique comme instrument !
L’auteur reconnaît les plantages, ratages, déceptions, toute une époque de recherches et de rénovations qui aboutissent rarement. Les rockeurs ne veulent pas s’enrôler dans le Jazz, qui jongle pour survivre.
Seul ou presque, Miles Davis arrive à s’inviter dans les festivals et les grands concerts Pop (ceux du Fillmore), mais n’arrive pas à recruter Jimi Hendrix, Bootsy Collins ou Sly…
Il y a les exceptions comme Herbie Hancock, qui réussit à sortir un Funk électronique, ou Gil Scott-Heron qui invente un Rap Jazzy, mais en réalité se prépare bien d’autres cassures violentes avec des bombes atomiques : Funk, Reggae, Disco, Punk ! Une autre planète.
Ce gros livre termine sur un tour du monde de toutes les tentatives de fusions Jazz : des latins aux nordiques… Étourdissant.
On dit qu’il faut détruire pour pouvoir reconstruire : ce qui fut fait.
Jazz Rock. Esprits libres et fusions des genres. Par Marc Alvarado. Éditions Le Mot et le Reste. 300 pages. 23 euros (avec principales images de pochettes d’albums en noir et blanc et bibliographie).
Visuel en Une © Getty Images / Mark Patiky