Entretien détendu avec Bonobo, l’une des figures de proue du label Ninja Tune et de la scène UK electronica
Cet homme qui marche seul, le front bas et le regard perdu dans ce champ, c’est Simon Green A.K.A. Bonobo, un des meilleurs producteurs et multi-instrumentistes de la perfide Albion, issu de cette fameuse scène de Brighton.
Avec 5 albums en 13 ans, si l’Anglais n’est pas une foudre de guerre dans la production discographique, chacun de ses disques est un pas de plus dans la cour des plus grands. North Borders (Ninja Tune), son cinquième album, à l’instar de son prédécesseur Black Sands continue sa gringue à la house, tout en conservant ce son organique tiré de ses cuivres et autres cordes qu’il orchestre comme peu savent le faire.
A l’occasion de son concert parisien au Trianon et prenant un peu trop sérieux son nom de scène, il ne s’est exprimé que par le truchement de gestes et de cris que nous avons essayé de retranscrire le plus fidèlement un peu plus bas.
On sent cet album un peu plus dance-floor que les précédents (bien que Black Sands laissait tout de même entrevoir quelques indices) ?
En effet il est moins acoustique que ce que pouvait être un Days To Come par exemple et je voulais aussi un peu m’éloigner de ce son jazzy/downbeat que j’avais pu faire sur certains tracks de Black Sands… Je pense avoir fait un peu le tour de ce qu’on peut appeler le trip-hop ou le downtempo. Mon son se doit d’évoluer afin de ne s’enfermer dans un carcan. Mais cela n’est pas nouveau pour autant : j’ai commencé ma carrière dans les clubs, et l’électro a toujours été une des facettes de mon identité sonore.
Du coup, cet album est-il plus enclin à être joué en club que les précédents ?
En fait je ne sais jamais comment un nouvel album sera restitué en live, si tel ou tel morceau sera plus propice pour un dj set ou pour un live band. Je suis moi même surpris du résultat quand je traduis un album pour la scène, et je dois avouer que North Borders est une bonne réussite. Je ne cherche pas forcément l’équilibre entre un son qu’on pourrait qualifier d’organique ou d’acoustique et des sonorités plus électro. J’essaye juste de faire ce qui me plait et ce n’est qu’au moment où je mets en place le live que je sais quels titres seront joués et dans quelle configuration, Dj set ou live band.
Sur chaque album, tu fais appel à différentes voix. Tu n’es pas fan du CDI ou tu préfères éviter d’être rattaché à un timbre vocal en particulier ?
Travailler avec d’autres artistes m’inspire énormément, cela procure à ma discographie une palette vocale plus riche ; et puis oui, je ne veux pas être affilié ou identifié à une voix spécifique.
Ces collaborations se font principalement en fonction de mes rencontres. Par exemple, j’ai connu Szjerdene à Londres où l’on m’avait parlé d’elle. Cornelia m’a été présentée par mes amis de Portico Quartet, elle avait notamment chanté sur leur dernier album…
Pourquoi pas sur une bande originale de film
Ton son est très arrangé, riche en orchestration, tu n’as jamais pensé à faire un album plus classique, comme une BO par exemple ?
Oui j’y pense souvent, je ne sais pas si cela ressemblerait à de l’ambient mais j’aimerais bien réaliser un projet avec une texture sonore plus riche, moins de beats, plus axé sur la mélodie et le mouvement. Je ne pense pas forcément à quelque chose de plus orchestré avec pléthore d’instruments, mais insuffler une véritable dimension narrative à travers ma musique serait un exercice intéressant – tout en conservant mon son, bien évidemment. Pourquoi pas sur une bande originale de film, mais cela pourrait être aussi en complément d’un travail plus abstrait.
Si Bonobo n’est qu’une seule et unique personne, tu joues souvent avec un groupe en live. Le travail en groupe ne te manque-t’il jamais dans la composition ?
C’est un processus complètement différent et c’est vrai qu’avoir le contrôle sur tout est primordial pour moi. J’ai joué dans des groupes par le passé et les interactions entre les musiciens peuvent apporter un autre souffle, une autre vision. Mais depuis le temps que je travaille seul, j’ai établi une routine qui ne ferait pas bon ménage avec un travail collectif.
Tu es un des gros bonnets de Ninja Tune et depuis Days To Come, tu gagnes en notoriété ; n’as tu jamais été démarché par des majors ?
Ce n’est pas trop ma came… et encore moins de nos jours. La manière d’appréhender la musique a considérablement changé. Tout est mouvant, le principe même d’album devient confus, surtout dans le milieu de la musique de club où il est presque inexistant. Je préfère un label à visage humain qui ressemble presque à une famille, avec son identité propre.
Tu as produit et arrangé le premier album d’Andreya Triana (que l’on avait pu entendre sur l’un de tes albums). C’était l’occasion qui faisait le larron ou c’est quelque chose que tu souhaites continuer ?
C’était l’année où je travaillais sur Black Sands et on se réunissait le soir pour bosser ensemble … le disque s’est fait assez rapidement. Nos deux univers accouchaient d’un son plus acoustique que ce que je pouvais faire avec Bonobo. Son deuxième album doit sortir dans peu de temps et il me semble qu’il devrait être assez différent du premier. Elle travaille avec d’autres producteurs dorénavant et le son devrait être plus produit, plus propice à être diffusé sur les radios. Mais je continue à produire d’autres artistes, notamment aux Etats-Unis… même si je ne peux pas trop en parler à l’heure actuelle. (Malgré des menaces répétées et des photos de ses enfants étalées sur la table afin de le faire parler, nous n’en saurons pas plus, ndlr).
Quoi qu’il en soit, produire et travailler avec d’autres artistes m’intéresse énormément ; c’est le meilleur moyen de tenter des expériences réellement différentes, de s’aventurer sur des terres moins connues.
Dans les oreilles du Bonobo durant sa tournée
Isolée – Allowance
Mount Kimbie – Cold Spring Fault Less Youth
Taylor McFerrin feat. RYAT – Place in My Heart
Lapalux Feat. Kerry Leatham – Without You
London Grammar – Hey Now