On est allés faire un tour à Saint-Jouvent.
« Ici, c’est la cour de l’école maternelle dans laquelle j’ai embrassé ma première amoureuse », raconte Sacha. Voilà qui explique l’incongruité du décor. Il faut vous dire qu’on est posés dans une cour de récréation, entre deux toboggans, une bière à la main, aux côtés de Sacha Biro. Il a co-fondé le Liquid Dub Festival, dont la première édition se tenait, donc, ces 27 et 28 juillet, à Saint-Jouvent, en Haute-Vienne. Si ça ne vous dit rien c’est normal. Pour vous situer un peu, à 20 minutes de là (en voiture), c’est Limoges. Saint-Jouvent, c’est un bureau de poste, une mairie, une église, 1 600 habitants, 24 kilomètres carrés…et un festival de dub.
Les Jeux d’enfants
Derrière nous, l’école maternelle en question, dessins d’enfants collés à la Patafix sur l’intérieur des fenêtres. Et dedans, les petites chaises et tables sont repoussées contre les murs pour faire de la place aux équipes du Liquid Dub. L’ambiance y est conviviale, familiale, même, malgré la tension d’une première édition. Dehors, on est sur une petite place, face à la salle des fêtes qui abrite les loges artistes, et derrière l’église, dont le clocher se fait rarement entendre, étouffé par les lourdes basses des sound systems.
Le talkie-walkie de Sacha grésille de temps à autres. Ce qui ne l’empêche pas de nous accorder une dizaine de minutes pour nous raconter la genèse de son projet. Le Liquid Dub est son bébé, mais aussi celui du tourangeau Biga* Ranx, dont il est manager. « On cherchait un lieu pour faire un festival. Mais sans l’appui des politiques, de la localité, des habitants d’une ville, c’est impossible. À Tours, on aurait aussi pu avoir les soutiens politiques, mais on a décidé de commencer petit, ici. » Les soutiens politiques, Sacha les a obtenus parce que c’est un enfant du pays. Pendant 18 ans, il a vécu à Saint-Jouvent, et, lui qui est ces temps-ci basé à Paris, y revient le sourire au lèvres, avec le recul de celui qui a quitté ce petit bled de campagne : « On a des bénévoles qui ont bossé 60 heures cette semaine. Ils viennent tous d’ici, et quand on les croise, ils ont le smile parce qu’ici, il n’y a rien. C’est la seule chose qu’ils ont dans l’année. Moi, en 30 ans, je n’ai jamais rien vu de tel dans la région. »
« D’habitude, il ne se passe jamais rien ici. »
Son enthousiasme est partagé par nombre de festivaliers. On ne compte plus le nombre de fois où l’on s’est entendu dire « Il ne se passe jamais rien ici », « Non mais c’est Limoges ici, d’habitude on prend la voiture pour aller en festival », « Mais c’est Nova ? Sérieux ? Mais vous êtes venus jusqu’ici ? ». Entre les locaux qui sont venus par simple curiosité, les aficionados de dub limougeauds, et les fanatiques qui pour le coup « ont pris la voiture » pour venir jusqu’à Saint-Jouvent, dans l’ensemble, tout le monde est un peu halluciné, mais pas moins joyeux de passer la soirée ici.
Côté organisation, l’ouverture est de mise. Les entrées sont gratuites pour les habitants du village qui peuvent souffrir des nuisances sonores. Et officieusement, elles le sont aussi pour certains curieux, histoire qu’ils jettent un oeil la bonne humeur qui règne, il faut le dire, sur les lieux et à la « maturité » d’un public qui souffre souvent des clichés liés au dub et au reggae. « Hier, il y a des gens du village que je connais qui étaient derrière les grilles, on les a fait rentrer. Bon, ils sont restés trente minutes mais ils avaient le smile (rires). Ils ont vu qu’on n’était pas des junkies », sourit Sacha.
Une programmation qui va de Biga Ranx à Chaton
Surtout qu’il est assez divers, ce public, attiré par une programmation pas moins éclectique. Surprenant, de voir sur la grande scène, montée sur le terrain de foot du village, les insatiables rappeurs bruxellois Caballero & JeanJass, qui mettent le feu comme partout où ils passent cet été, l’inénarrable Chaton et son dub chanté en français qui fait onduler toutes les dreds de ce festival sur sa reprise de Céline Dion, ou encore le hip-hop tourangeau de Chill Bump, côtoyer Biga* Ranx, Atili et Prendy, ou encore les lyonnais de High Tone.
Pour Sacha, tous ces artistes appartiennent au, ou s’inspirent du dub, et chacun « représente et insuffle une mentalité qu’on respecte, et qu’on a envie de prôner. » Et puis le Liquid Dub, c’est aussi le résultat de nombreuses et fortes amitiés. La plupart des artistes d’invités sont des rencontres, faites par Sacha et Biga (dont l’un des grands morceaux, hasard, s’appelle justement « Liquid Sunshine »), au fil des tournées. C’est aussi ça, qui leur a permis de monter cette première édition. « Notre plateau d’artistes, si on devait le payer à la juste valeur du marché festivalier, on n’aurait pas fait le festival », explique Sacha.
Côté public, on se réjouit de cette diversité. Il y en a pour tous les goûts, et même Chaton qui au départ semble peiner à faire l’unanimité, finit par taper la discute avec le public : « Je parle pas trop d’habitude, mais ce soir j’ai envie, c’est rare de pouvoir faire ça en festival », dit-il à la petite foule réunie à 20h le samedi. Et quand des râleurs réclament plutôt de la musique, un cynique « Je vous emmerde » finit de séduire une assemblée hilare, et fédérée. Sacha n’est pas étonné pour un sou de l’osmose entre les différents publics réunis par sa programmation. « Le public dub est constitué de gens qui ont vraiment un esprit ouvert. Tu vois bien qu’on croise pas trop de mecs qui font du tuning, quoi. » Certes. Par contre on croise vraiment de tout. Des skaters de 15 ans, des familles bretonnes ou bordelaises, des babos en sarouel, des fans de rap en t-shirt Grünt, et surtout, de tranches d’âges totalement mélangées.
« Le maire est super content », nous confie Sacha. « Il aimerait qu’on revienne, pas tous les ans parce que le festival est fait pour être itinérant, mais dans trois ans peut-être. » Le soutien de la Communauté de communes locale amènera le Liquid Dub dans d’autres villages de la région ces prochaines années. « On est déjà en train de le préparer, pour ne pas se retrouver en galère comme cette année », rigole Sacha, dont l’équipe a monté cette édition en l’espace de trois mois seulement. « On sait qu’il reste des choses à améliorer. » Quelques problèmes techniques et des réclamations sur le camping n’auront pas entamé l’enthousiasme des festivaliers. « Pour une première édition, c’est hyper réussi », nous dit-on en fin de soirée le samedi. « Il y a des trucs à revoir mais l’équipe est au top, je suis pressée de voir ce que ça donnera l’année prochaine. » Nous aussi.
Visuel © Thomas Hugon/Instagram