Immersion au sein du Moris Music Expo durant trois jours, le plus important marché de la musique de l’île Maurice. Une quatrième édition visionnaire et métissée articulée autour de conférences, d’échanges, d’ateliers et de concerts. Une mise en valeur unique du patrimoine et du vivier culturel immense de ce territoire et de ses îles voisines.
Jeudi 29 septembre 2022, me voici de nouveau dans L’Océan Indien, plus précisément sur l’île Paradis plus connue sous le nom de Mauritius, située à presque 10 000 km de la France. Onze heures de vol, pas très bien réveillé mais ultra enjoué vu ce qui m’attend durant cette semaine. À peine avoir foulé le tarmac de l’Aéroport Sir Seewoosagur Ramgoolam, je suis déjà surexcité de découvrir les milliers de particularités qu’abrite Maurice. Le MTPA (Mauritius Tourism Promotion Authority) qui travaille en lien avec le MOMIX, m’accueille avec chaleur comme jamais je ne l’ai été dans mes voyages. En direction de Grand Baie, au nord, le trajet est agrémenté de fous rires lors de mes conversations avec le chauffeur. L’occasion d’en apprendre davantage sur le métissage et le syncrétisme de Maurice, un brassage inédit de cultures. Les populations hindoues, africaines, créoles, chinoises, arabes ou européennes cohabitent sur cette île depuis maintenant plusieurs siècles. Et naturellement, on l’entend dans leurs musiques, il suffit d’allumer le poste radio pour le comprendre. À peine, je change de fréquence, on passe du Séga d’inspiration africaine au Seggae (mélange de séga et de reggae) popularisé par l’artiste iconique Kaya, ou encore par des chants bhojpuri amenés par les travailleurs émigrés du nord de l’Inde en 1834. Cette histoire me sera contée par les musiques et les rencontres qui m’attendent au MOMIX.
Conservation, transmission et mise en lumière des projets mauriciens contemporains, telles sont les missions de ce fameux salon en 2022. Après une baignade et une promenade dans les rues de cette cité côtière, je me retrouve le soir au centre Nelson Mandela pour un avant-goût agréable de ce premier showcase privé avec des concerts jazz où l’on reconnaît entre autres le célèbre Eric Triton.
Vendredi 30 septembre, un immense bonheur de se réveiller et d’aller prendre son petit déjeuner sur la magnifique plage de la Cuvette. Quelques heures de récupération et me voici sur le site de Creative Park, à Beau Plan, dans la région de Pamplemousse au nord-ouest. Je rencontre Stephan Rezannah ,du label Jorez Box et du marché de musique MOMIX, journaliste culturel. Un hyperactif talentueux, véritable connexionneur et personne clé pour la promotion des cultures mauriciennes. Il coordonne les différents professionnels venus pour assister aux ateliers et conférences. Le premier échange concerne la musique bhojpuri, ces chants populaires geetgawai arrivés avec l’immigration ouvrière indienne du Karnataka à Maurice en 1834. Ces traditions, ces odes sonores à Shiva sont inscrites au patrimoine immatériel de l’Unesco depuis 2016. On remarque ses similitudes avec les rythmes du séga. Trois représentant.e.s nous ouvrent les portes de cette musique ancestrale et sacrée, Sarita Bodhoo (présidente de la Bhojpuri Speaking Union), Reeta Poonuth et le chanteur Kishore Taucoory, membre du mythique Bhojpuri Boys.
Entre témoignages et chants, me voici bel et bien dépaysé avec ma curiosité exacerbée. Les questions fusent : « Comment préserver ces musiques ? comment les défendre sur les scènes ?”. La conférence suivante va me donner quelques éléments de réponse. Les directeurs des quatre festivals les plus importants de l’île vont partager leurs expériences et interrogations tout en mettant en avant leurs actions. Je comprends aussitôt l’immensité culturelle du territoire et n’ai envie que d’une seule chose. Assister aux concerts.
Quelques heures plus tard, me voici de nouveau à Grand Baie au N’JOY, lieu culturel où je vais passer mes soirées pour assister aux showcases. Le premier soir est comme on l’attendait : ouvert et riche musicalement ! Ne l’oublions pas, la situation géographique de Maurice est une des plus intéressantes. Située entre l’Afrique de l’Est, la Réunion et l’Inde, ce particularisme transparaît naturellement dans la programmation. La chanteuse sud-africaine zulu Ntunja ouvre le bal avec une soul habitée. Bawari Basanti, venue d’Inde, propose une fusion de traditions hindoustanies avec le hip-hop et la UK bass. Les Mauriciens de Qashmere emmènent l’univers jazz-funk de Weather Report du côté de l’Océan Indien, ou encore Sayaa qui met tout le monde d’accord avec son reggae ancré dans les sonorités de son île tout en lorgnant vers le Nigéria ou la Jamaïque. Et enfin le réunionnais Fayazer clôture cette première nuit sur une ambiance de kabar trap comme il est le seul à le maîtriser.
Samedi 1er octobre, troisième jour sur l’île, rebelote, on va se cultiver le cerveau à Grand Park dans les ateliers et conférences. Comment protéger ses droits, préparer son concert ou comment conserver les richesses culturelles d’un territoire ? Des échanges tous aussi enrichissants les uns que les autres. Beaucoup de professionnel présent partagent leurs expériences comme Gavin Poonoosamy (membre de la team Momix et fondateur du festival Mama Jaz) ou Gilbert Pounia (leader du célèbre groupe Ziskakan) ou le collectionneur de disques Arno Bazin. On s’intéresse au modèle du Soft Power pour le développement de l’économie culturelle mauricienne en compagnie de Paul Mazaka (acteur culturel iconique de la Réunion et directeur du PRMA), Bernard Theys (CEO de Phoenix Beverages) et de Stephan Rezannah, fondateur du label Jorez Box et du marché de musique MOMIX, également journaliste culturel. Un hyperactif talentueux, véritable connexionneur et personne clé pour les cultures mauriciennes.
Le soir, vous l’avez compris, nous sommes de nouveau au N’JOY pour les concerts. El Tabla prouve son génie dans son approche de ces percussions emblématiques. Le duo Sibu Manäi débarqué de la Réunion délivre une soul, afro-pop maloya futuriste et féministe et fait danser le lieu. Le rock mauricien de Vincent Brasse fait trembler les murs, les sœurs réunionnaises Solah proposent un maloya introspectif et fusionnel. Je suis envoûtée, nous le sommes tous.tes, mais ce n’est que le début. Une formation de l’île voisine, Rodrigues, va transformer l’ambiance. Menée par le charismatique chanteur et accordéoniste Wendada, leur métissage de “séga tambour” et d’accordéon combiné à la poésie de cet artiste charismatique nous a chamboulés, marqués, tout comme ce séjour. Le public rentre le regard illuminé de souvenirs et se donne rendez-vous le lendemain à la même place.
Dimanche 2 octobre, pas de grasse mat’, ma clique vient me chercher, cette bande à qui je dois cette connexion avec le Momix, c’est le collectif Babani. Crew de djs, diggers invétérés, défenseurs des musiques mauricienne, menée par le très prolifique musicien/graphiste/Dj et Vj, Avneesh. Ils m’emmènent voir des légendes du Sega que je vais interviewer, mais ça, ce sera pour un prochain épisode (je ne peux pas tout vous livrer tout de suite quand même !). Dès 19h, tout le monde est là, sur la piste sablée du N’JOY. On commence à tous se connaître maintenant ! Le groupe indien Filter Coffee nous plonge dans son univers ethnotronique en propulsant leurs traditions dans un futur proche. Emlyn poursuit le bal, cet artiste, chanteuse et multi-instrumentiste est à suivre de très près. Elle mêle la Ravanne (tambour typique traditionnel de l’île) au maloya, au reggae, et à une soul-folk des plus convaincantes. S’ensuit, No Mady, trio malgache de métal composé d’un batteur, d’une guitariste et chanteuse engagée et d’une bassiste charismatique. La scène vibre, je suis maintenant persuadé que Madagascar est bel et bien une île rock & roll (il suffit de penser aux groupes The Dizzy brains, Krystel et Loharano). On termine ce festival en feu avec l’énergie du baye-fall sénégalais Cheikh Ibra Fam. Le chanteur partage son univers afropop teinté de rythmes mbalax, de cadence caribéenne et de soul américaine. Cette ferveur, c’est l’esprit du MOMIX, on ne veut pas que ça se termine tellement c’est chaleureux, mais surtout important pour connaître Maurice de manière sincère.
Quelques jours de visite dans l’île Paradis. J’écoute des disques, je mange des Dholl Puri, je rigole, je me baigne, je partage mes expériences avec le très sympathique personnel de l’hôtel Mauricia Beachcomber et je rentre en observant une dernière fois ces magnifiques plages féeriques. Je ne pleure pas non, je ressens que cette île m’appelle et je pense vous ramener bientôt de nouvelles trouvailles des futurs Momix !